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comme un dédommagement de tout ce qu’il perdait en cessant de voir la douce lumière du jour.

Sous l’empire de ces idées et de ces sentimens, on enfouit dans la tombe d’autant plus d’objets précieux et on la décora d’autant plus magnifiquement que l’on crut en avoir mieux défendu l’entrée contre toute indiscrétion et toute convoitise. C’est ainsi que les Achéens de Mycènes (si c’est le nom qu’il convient de donner à ce peuple mystérieux) ont enseveli dans les tombes découvertes par M. Schliemann cette quantité prodigieuse d’or et d’argent ouvrés que possède aujourd’hui le musée d’Athènes ; c’est ainsi que les terres cuites de Tanagre, ces merveilles de finesse et de grâce, sont venues remplir les sépultures béotiennes, et que se sont accumulés dans les sépultures de l’Étrurie et de la Campanie les plus beaux vases peints que la Grèce ait produits.

L’identité de la conception religieuse commande ainsi, d’un bout du monde antique à l’autre, des dispositions qui présentent de singulières ressemblances, en sorte que l’architecture funéraire des anciens, prise dans son ensemble, a des caractères qui la distinguent tout à fait de celle des modernes. Nulle part ces caractères ne sont marqués aussi franchement que dans la tombe égyptienne ; c’est à ce titre que celle-ci nous a paru mériter d’être étudiée dans le plus grand détail. Les observations générales que ce thème nous a suggérées trouveraient donc ailleurs leur application ; l’historien de l’art antique n’aurait pas à les répéter quand viendrait le moment de décrire les sépultures des autres peuples anciens. Sa tâche se bornerait à signaler des nuances et des différences légères dans la traduction d’une même idée, dans l’expression variable de croyances communes.

Ces croyances, nous les avons définies, dans toute leur étrangeté naïve, d’après leurs interprètes les plus autorisés, et nous avons indiqué les conséquences qu’elles comportaient, dans le domaine des arts plastiques, chez un peuple qui, profondément pénétré de ces doctrines, disposait à son gré, pour honorer ses morts, de toutes les ressources d’une architecture, d’une sculpture et d’une peinture déjà très savantes et très habiles. Suivant les circonstances, les temps et les lieux, la tombe égyptienne a subi, dans son plan et dans sa décoration, des changemens partiels qui d’ailleurs n’en altèrent pas l’économie générale et les grands traits ; ceux-ci, malgré des modifications plus apparentes que réelles, restent sensiblement les mêmes tant que le nom de l’Égypte ne devient pas une simple expression géographique, tant que la vieille civilisation de cette race privilégiée garde son indépendance et son originalité.


GEORGE PERROT.