Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 43.djvu/599

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de fournir à son entretien. C’était comme un grand seigneur qui séjournait en pays étranger et qui administrait son bien par l’intermédiaire d’intendans attitrés[1]. »

Cette analogie entre le tombeau et la maison est si complète qu’elle s’étend même à des détails qui ne semblent pas la comporter. Comme celle du vivant, l’habitation du mort est orientée ; mais elle l’est d’après un autre principe ; c’est, si l’on peut ainsi parler, une orientation toute mystique.

Dès que l’Égyptien avait commencé de réfléchir, il avait établi la plus naturelle des assimilations entre la carrière du soleil et celle de l’homme. La vie humaine a son aurore et son coucher ; l’homme part des premières clartés de l’enfance pour s’élever à l’apogée de la sagesse et de la force, puis il décline, pour finir par s’enfoncer après la mort, dans les profondeurs du sol, comme le fait l’astre mourant lorsque son disque élargi s’abaisse et disparaît à l’horizon. En Égypte, c’est derrière la chaîne libyque qu’il descend chaque soir ; c’est par là qu’il pénètre dans cette sombre région de l’Ament, où il chemine sous terre jusqu’à l’aube du jour suivant. On fut donc conduit à placer d’ordinaire les nécropoles sur la rive gauche du Nil, à l’occident de l’Égypte. C’est là que se dressent, sans exception, toutes les pyramides connues ; c’est là que se trouvent les plus grands cimetières, ceux de Memphis, d’Abydos et de Thèbes. Quelques groupes de tombes qui ne sont pas sans importance se rencontrent bien sur la rive orientale ; ces dérogations à une règle qui paraît avoir été généralement suivie s’expliqueraient sans doute, si nous connaissions tout le détail de l’histoire. Le Nil servait peut-être de frontière à certains nomes ; il est possible que les princes de Meh, qui ont construit leurs tombes à Beni-Hassan, sur la rive droite, n’aient pas possédé la rive gauche. On comprendrait, dans ce cas, qu’ils aient tenu à reposer dans les limites de leur domaine héréditaire.

Chaque matin, le soleil renaît aussi jeune et aussi ardent que la veille ; pourquoi, tôt ou tard, de manière ou d’autre, l’homme, lui aussi, après avoir accompli son voyage souterrain et triomphé des monstres et des terreurs de l’Ament, ne ressortirait-il pas des ombres du sépulcre et ne reverrait-il pas la lumière du jour ? Cette infatigable espérance, chaque aurore la réveillait et la confirmait comme par une nouvelle promesse ; on avait donc poursuivi cette comparaison qui rassurait l’esprit, et, si l’on mettait les tombes à l’occident de l’Égypte, du côté où le soleil se dérobe chaque soir à la vue, on les ouvrit vers le levant, du côté où il reparaît vainqueur de la nuit et de la mort. Dans la nécropole de Memphis, c’est

  1. Maspero, Conférence, p. 282.