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en vin, en bière, en vêtemens, en parfums, en toutes les choses bonnes et pures dont subsiste le dieu, au double de défunt N. fils de N. » En bas, le mort est souvent représenté recevant aussi lui-même les offrandes de sa famille. De part et d’autre, les objets figurés sont conçus comme réels, de même que dans la décoration des parois de la chambre. Ils sont offerts directement, dans le registre inférieur, à celui qui doit en profiter, tandis que dans le registre d’en haut, pour être plus sûr qu’ils iront à leur adresse, on charge le dieu d’en opérer la transmission. On donne au dieu les provisions que le dieu doit fournir au double ; par l’intervention d’Osiris, le double des pains, des liquides, de la viande passe dans l’autre monde et y nourrit le double de l’homme ; mais il n’est pas nécessaire que l’offrande, pour être effective, soit réelle ou même quasi réelle, que l’art en ait reproduit le simulacre sur la pierre. « Le premier venu, répétant en l’honneur du mort la formule de l’offrande, procurait par cela seul au double la possession de tous les objets dont il récitait l’énumération. Aussi beaucoup d’Égyptiens faisaient-ils graver, à côté du texte ordinaire, une invocation à tous ceux que la fortune amènerait devant leur tombeau :

« O vous qui subsistez sur cette terre, simples particuliers, prêtres, scribes, officians qui entrez dans cette syringe, si vous aimez la vie et que vous ignoriez la mort, si vous voulez être dans la faveur des dieux de vos villes et ne pas goûter la terreur de l’autre monde, mais être ensevelis dans vos tombeaux et léguer vos dignités à vos enfans, soit qu’étant scribe vous récitiez les paroles inscrites sur cette stèle, soit que vous en écoutiez la lecture, dites : « Offrande à Ammon, maître de Karnak, pour qu’il donne des milliers de pains, des milliers de vases de liquide, des milliers de bœufs, des milliers d’oies, des milliers de vêtemens, des milliers de toutes les choses bonnes et pures au double du prince Entew[1]. »

Grâce à toutes ces précautions subtiles et à la complaisance avec laquelle l’esprit entrait dans toutes ces fictions, la tombe méritait bien le nom qu’elle recevait souvent de maison du double. Le double, commodément installé dans cette demeure aménagée à son usage, y recevait les visites et les offrandes de ses parens et de ses amis : « il avait des prêtres que l’on payait pour lui offrir des sacrifices ; il possédait des esclaves, des bestiaux, des terres chargées

  1. Nous empruntons à M. Maspero (Conférence, p. 382) la traduction de cette stèle du Louvre (c. XXVI) et les réflexions qui la précèdent. Cette stèle est, d’après M. de Rougé, de la douzième dynastie environ. Nous retrouvons la même précaution et la même formule dans un autre texte de la même époque, dans l’inscription d’Amoni Amenombâlt, prince héréditaire du nome de Meh, à Beni-Hassan. Voir Maspero, la Grande Inscription de Beni-Hassan, p. 171. (Recueil de travaux, etc., t. I, in-4o.)