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sixième dynastie ; nous citerons encore les inscriptions gravées dans les tombes des princes féodaux qui ont été ensevelis à Beni-Hassan. Dans ces dernières sépultures, on a aussi des représentations historiques, commentaire naturel du texte ; il suffit de rappeler la peinture tant de fois reproduite où se voit l’arrivée d’une bande d’Asiatiques qui viennent apporter au prince une espèce de fard, le stibium, et qui lui demandent peut-être en échange la permission de faire en Égypte leur provision de blé, comme les Hébreux au temps de Jacob.

Ceci reste d’ailleurs toujours l’exception ; presque toujours ce sont les mêmes sujets qui reviennent sur les tombes avec cette persistance qui caractérise les thèmes traditionnels et généraux. Les chiffres qui accompagnent la désignation des troupeaux et autres biens possédés par le défunt ont aussi quelque chose d’hyperbolique, qui ne sent point la réalité[1]. D’autre part, dans tous ces bas-reliefs, les gens de métier, depuis le laboureur, le boulanger et le boucher jusqu’au statuaire, se livrent à leurs occupations professionnelles avec une application laborieuse qui semble exclure l’idée d’une félicité idéale. Tout ce monde s’empresse et travaille en toute conscience ; on sent que cultivateurs et artisans s’emploient avec zèle à une tâche commandée par le devoir.

Pour qui se donne-t-on tant de peine ? Sachez entrer dans les idées du peuple qui a tracé ces images, comparez ces représentations aux textes qui les accompagnent, et vous serez en mesure de répondre à cette question. Nous prenons au hasard quelques-unes des inscriptions qui servent de légende aux scènes figurées sur le fameux tombeau de Ti, et voici ce que nous y lisons : « Il voit (mot à mot voir) l’arrachage et le foulage du raisin et tous les travaux de la compagnie. »

Ailleurs : « Il voit l’arrachage du lin, le moissonnage du blé, le transport à dos d’âne, la mise en meule des domaines du tombeau. »

Auprès d’une autre scène : « Ti voit les étables des bœufs et des petits bestiaux, les rigoles et les canaux du tombeau. »

On ne saurait indiquer plus clairement la part que prend le mort à tous les travaux qui s’accomplissent sur les murs de la tombe ; c’est pour lui qu’on vendange et qu’on prépare le vin, qu’on récolte le lin, qu’on abat le blé sous la faucille, que l’on conduit aux champs les bestiaux, que l’on arrose le sol du domaine : c’est pour lui, c’est pour pourvoir à ses besoins que se courbent et se tendent tous ces bras affairés.

  1. Voir Mariette, Tombes de l’ancien empire, p. 88.