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Celles qui sont gardées en Égypte même pourraient, ce semble, compter sur une éternelle durée. Si, pour résister à l’anéantissement, le double n’avait eu besoin que de la persistance de l’image, celui de Chéphren, le constructeur de la seconde des grandes pyramides, vivrait encore, préservé par la magnifique statue de diorite qui fait la gloire de Boulaq ; grâce à la dureté de la matière, il aurait toute chance de ne jamais périr. Par malheur pour l’ombre du pharaon, cette vie posthume, que nous avons aujourd’hui tant de peine à comprendre, ne se prolongeait que grâce à un concours de conditions complexes dont la plupart n’ont pu continuer longtemps à être réalisées.

C’était une vie toute matérielle ; le mort-vivant avait faim et soif, il lui fallait des alimens et des boissons. Cette nourriture lui était fournie par les livres déposés auprès de lui, puis, comme cette provision était censée s’user, par les repas funéraires qui se célébraient dans la tombe et dont il prenait sa part. Le premier de ces repas se donnait à la un de la cérémonie de l’enterrement ; puis ces festins se continuaient et se répétaient d’année en année, plusieurs fois par an, aux jours fixés par la tradition et d’ailleurs souvent rappelés par l’expresse volonté du défunt. Une pièce ouverte et publique avait été ménagée dans la tombe en vue de ces réunions ; c’était une sorte de chapelle ou, si l’on veut, de salle à manger, où prenaient place les parens et les amis. Au pied de la stèle où le défunt était représenté en adoration devant Osiris, le dieu des morts, était dressée une table d’offrandes, sur laquelle on déposait la portion destinée au double et l’on faisait couler la libation. Dans la muraille était réservé un conduit par lequel arrivait jusqu’aux statues l’agréable odeur des viandes rôties et des fruits parfumés ainsi que les fumées de l’encens jeté sur la flamme.

Pour assurer la régularité de ce service et ne pas risquer de mourir d’inanition dans la tombe négligée, ce n’était pas assez de compter sur la piété de ses descendans ; au bout de deux ou trois générations, elle pouvait se refroidir et se relâcher de ses soins. D’ailleurs à la longue, la famille pouvait s’éteindre. Tout roi, tout prince, tout grand seigneur, tout personnage un peu riche et considérable avait donc soin de faire, pour l’entretien de sa tombe, ce que nous appellerions une fondation à perpétuité ; il affectait à cet usage les revenus d’un domaine, qui devait en même temps nourrir le prêtre ou les prêtres chargés d’accomplir ces rites cérémoniels. On trouve encore, sous les Ptolémées, des desservans attachés à la chapelle funéraire de Choufou, le constructeur de la grande pyramide. Il est difficile de croire qu’une fondation faite sous l’ancien empire ait pu traverser sans encombre tant de changemens