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de l’or et des bijoux dont avait été paré le cadavre, pouvait le tirer hors de la chambre funéraire et l’abandonner sur l’arène, nu et déshonoré, proie promise à une destruction rapide.

Exposée ainsi à certaines chances contraires, la momie était unique. Qu’elle succombât de manière ou d’autre et fût anéantie, que deviendrait le double ? Cette crainte, cette terreur suggéra l’idée de lui donner un soutien artificiel, la statue. L’art était assez avancé déjà non-seulement pour reproduire le costume et l’attitude ordinaire du défunt et pour en marquer le sexe et l’âge, mais même pour rendre le caractère individuel de ses traits et de sa physionomie ; il pouvait aspirer au portrait. L’emploi de l’écriture permettait de graver sur la statue le nom et les qualités de celui qui n’était plus ; ces indications achèveraient d’en faire l’exacte représentation de la personne disparue. Ainsi déterminée par l’inscription et par la ressemblance du visage, la statue servirait à perpétuer la vie de ce fantôme, qui risquait toujours de se dissoudre et de s’évaporer s’il ne trouvait un appui matériel où s’attacher et se prendre.

« Les statues étaient plus solides que la momie, et rien n’empêchait de les fabriquer en la quantité qu’on voulait. Un seul corps était une seule chance de durée pour le double ; vingt statues représentaient vingt chances. De là ce nombre vraiment étonnant de statues qu’on rencontre quelquefois dans une seule tombe. La piété des parens multipliait les images du mort, et, par suite, les supports, les corps impérissables du double, lui assurant par cela seul une presque immortalité[1]. »

Un réduit spécial était préparé, dans l’épaisseur du massif qui formait la partie construite de la tombe, pour recevoir ces statues de bois ou de pierre, pour les conserver à l’abri des regards et de toute tentative indiscrète[2]. D’autres effigies étaient placées dans les chambres du tombeau ou dans les cours qui le précédaient. Enfin les personnages considérables obtenaient du roi la permission de dresser dans les temples leurs propres statues, où elles étaient protégées par la majesté du sanctuaire et confiées aux soins des prêtres.

A nous placer au point de vue des anciens Égyptiens, ces précautions n’ont pas été inutiles ; beaucoup de ces images ont traversé sans accident cinquante ou soixante siècles ; elles sont arrivées jusqu’à nous, et elles ont trouvé dans nos musées un asile où elles n’ont plus à craindre que le lent effet du climat et du temps.

  1. Maspero, Conférence.
  2. C’est ce que l’on appelle aujourd’hui généralement le serdab ; ce mot, qui du persan a passé dans l’arabe, désigne un couloir obscur. C’est en l’entendant employer par ses ouvriers que M. Mariette l’a adopté et mis à la mode entre égyptologues.