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dans cette brillante fantaisie que Théophile Gautier a intitulée : le Roman de la momie, avec un peu de complaisance, on se serait expliqué l’admiration émue et attendrie qui s’empare du jeune homme quand il contemple, dépouillée de tous ses voiles, la beauté parfaite de cette fille d’Égypte qui a jadis troublé le cœur du plus orgueilleux des Pharaons[1].

Pour que ne fût pas inutile toute la dépense faite en incisions, en parfums et en bandelettes, il convenait de placer la momie au-dessus du niveau où s’élèvent les plus hautes eaux du Nil débordé, Quand il s’agit d’établir les cimetières, on choisit donc, soit comme à Memphis et à Abydos, un plateau qui confine au désert, soit, comme à Beni-Hassan et à Thèbes, le flanc de la montagne et les ravins qui s’y creusent. Nulle part, dans toute la vallée du Nil, on n’a encore trouvé une tombe des temps anciens qu’atteigne l’inondation.

C’était déjà beaucoup d’avoir préservé le cadavre de la corruption, d’abord par les préparations savantes de l’embaumement, puis par la précaution prise de toujours mettre le cercueil à l’abri même des plus fortes crues. On verra de plus, en étudiant le plan de la tombe et son agencement, à quels artifices de construction les architectes égyptiens avaient eu recours afin de dissimuler l’entrée du caveau et d’en rendre l’accès aussi difficile que possible à quiconque voudrait y pénétrer avec de mauvaises intentions ; il n’était obstacle ni piège qu’ils n’eussent accumulé devant ses pas, avec une patience et une fertilité d’inventions qui bien souvent ont fait le désespoir des fouilleurs modernes, notamment aux Pyramides. Il y a certainement en Égypte, aimait à dire M. Mariette, des momies si bien cachées, que jamais, au sens absolu du mot, jamais elles ne reverront le jour.

Cependant, malgré ce qu’avait fait, pour assurer la conservation du corps, la plus pieuse et la plus subtile prévoyance, il pouvait arriver que la haine ou plus souvent encore l’avidité déjouassent tous ces calculs. Un ennemi pouvait aller chercher le défunt jusque dans son sarcophage pour déchirer et pour disperser ses membres, pour lui infliger ainsi une seconde mort plus cruelle et plus irréparable que la première. Un voleur, pour s’emparer plus à l’aise

  1. Voir le récit que fait Passalacqua de la découverte d’une momie de jeune femme qu’il a découverte à Thèbes. « Sa chevelure, dit-il, la rotondité et la surprenante régularité de ses formes me prouvèrent, au premier coup d’œil, qu’elle était une beauté de son temps, descendue au tombeau à la fleur de son âge. » Il donne ensuite une minutieuse description de sa pose et de sa parure et il termine en racontant « que la particularité des belles proportions de cette momie et sa parfaite conservation avaient tellement frappé les Arabes mêmes, qu’ils la déterrèrent à plusieurs reprises pour la faire voir à leurs femmes et à leurs voisins. » (Catalogue raisonné et historique des antiquités découvertes en Égypte, in-8o, 1826.)