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avaient été, pour ces premiers-nés de la civilisation, un moyen puissant d’amélioration morale, le lien de la famille et le ciment de la cité.

Si nous avons cru de voir insister ici sur cette religion des morts et en bien définir le caractère, c’est que chez aucun autre peuple l’art n’a traduit d’une manière aussi vive et aussi forte les croyances dont s’inspirait ce culte ; elles ont trouvé dans la tombe égyptienne leur expression plastique la plus complète, la plus claire et la plus éloquente. Pourquoi ? C’est que l’industrie égyptienne était déjà très avancée, c’est que l’art de l’Égypte disposait déjà de toutes ses ressources au temps où ces croyances étaient le plus puissantes sur les âmes ; quant à l’art de la Grèce, il ne s’est vraiment développé que dans des siècles où, sans avoir disparu, ce culte des morts n’était déjà plus au premier plan dans la conscience et l’imagination de la Grèce. Lorsque le génie grec, après de longs tâtonnemens, se sent assez maître de la matière pour en obtenir une ample et libre expression de sa pensée, la Grèce a, depuis plusieurs siècles déjà, créé les dieux olympiens ; les idées que l’art interprète, ce sont celles du brillant polythéisme d’Homère et d’Hésiode, et la tâche qui s’impose à lui, c’est de prêter aux immortels une figure et de leur construire une demeure qui soit digne de leur majesté. Sans doute l’architecte, le sculpteur et le peintre décoreront aussi la tombe ; ils travailleront à lui donner une belle ordonnance ; ils en couvriront souvent la façade ou les parois de bas-reliefs et de peintures ; ils fabriqueront pour elle ces terres cuites et ces vases que l’on ensevelira dans ses ténèbres et qui sortent aujourd’hui par milliers des nécropoles de la Grèce et de l’Italie ; mais ce ne sera jamais là pour l’artiste qu’un emploi secondaire de son talent. Sa haute ambition, celle qui ne lui laissera point de repos qu’il n’ait atteint la perfection, ce sera de bâtir le temple ou de modeler les statues d’un Jupiter, d’une Pallas, d’un Apollon. Au contraire, dans ces âges reculés où ces nobles types n’existaient pas encore et où les croyances des obscurs ancêtres de la Grèce avaient encore leur caractère tout enfantin et naïf, ces tribus innomées ne possédaient point un art qui fût en mesure de traduire avec décision et netteté l’ensemble de ces conceptions premières.

Il en est tout autrement dans la vallée du Nil ; une industrie richement outillée et un art déjà savant s’y mettent au service de la croyance populaire et s’appliquent, avec une patience intelligente et laborieuse, à mieux défendre le mort contre la dissolution qui le menace et à le mieux garantir contre la soif et contre la faim. L’Égypte ne diffère pas des autres peuples par les opinions et les pensées que lai avait suggérées le mystère de la mort ; elle donne la