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exclusivement le secret des pensées de l’homme enfant. Comme source de renseignemens authentiques, elle nous paraît avoir un grand avantage sur ces peuplades barbares. Ce que celles-ci sentent et pensent, nous ne l’apprenons que par le témoignage des voyageurs. Très souvent ceux-ci comprennent mal ce qu’ils ont vu et entendu ; ils mettent du leur dans la description qu’ils nous donnent de ces usages bizarres, dans le compte qu’ils nous rendent de ces conceptions naïves et confuses. Il en est tout autrement de l’Égypte ; c’est elle-même qui dépose de ses idées et de ses croyances ; elle en témoigne par des milliers d’inscriptions, par la disposition de ses édifices funéraires et religieux, par les figures sans nombre dont ils sont décorés ; sa voix arrive jusqu’à nous, claire et distincte, du fond des siècles lointains. L’inappréciable supériorité de l’Égypte, c’est qu’elle est, comme peut-être aussi la Chine, un peuple enfant, mais un peuple enfant à l’état civilisé.

C’est ce que nous voudrions essayer de montrer par un exemple ; nous nous proposons d’exposer, à l’aide d’une étude attentive de la tombe égyptienne, les idées que les Égyptiens se faisaient de la vie et de la mort, en d’autres termes, la solution qu’ils avaient donnée à ce que Jouffroy, dans un fragment célèbre, appelait le problème de la destinée humaine. Nous ne sommes pas égyptologue ; nous nous contenterons donc de relier les uns aux autres les renseignemens que fournissent à ce sujet les plus autorisés et les plus intelligens des modernes explorateurs de l’antique Égypte. Ces renseignemens sont épars dans des mémoires tout hérissés d’hiéroglyphes, dans des recueils dont le nom même n’est pas connu du grand public ; il n’aura point été inutile d’aller les y chercher et d’en faire un ensemble d’où se dégage une pensée philosophique. C’est à quoi n’ont pas le temps de songer les savans spéciaux, occupés de lutter contre les difficultés des textes qu’ils traduisent et toujours pressés de courir à de nouvelles découvertes. Sans cette nécessité, sans ces tentations perpétuelles de l’invention et de la recherche, nul ne se serait mieux acquitté de cette tâche que le guide dont nous suivrons le plus souvent les traces, que le maître qui vient d’aller demander à l’Égypte même les moyens de jeter encore de nouvelles lumières sur cet obscur passé qu’il a déjà éclairé, par endroits, d’un si vif et si pénétrant rayon.


I

Les plus anciens monumens qui aient été retrouvés en Égypte, ce sont des tombeaux ; dès que l’on aborde l’histoire de la civilisation et des arts de l’Égypte, on est donc conduit à commencer par