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français qu’il appartient de ne pas oublier là-bas ceux qui sont partis sur sa foi, de les soutenir fidèlement dans toutes les difficultés qu’ils pourraient rencontrer et de leur fournir avec libéralité les moyen de bien remplir la tâche qu’ils ont si vaillamment acceptée.

L’événement, nous l’espérons et nous y comptons fermement, donnera raison à ceux qui se sont montrés confians et hardis ; c’est lui qui se chargera de lever tous les doutes. On peut cependant, dès aujourd’hui, répondre par des faits à l’une des objections les plus spécieuses qu’ait dû provoquer un projet qui n’a pas laissé de surprendre quelques bons esprits. Beaucoup de personnes, même parmi les gens instruits, se figurent encore aujourd’hui que les documens fournis par le déchiffrement des hiéroglyphes n’intéresseront jamais que quelques érudits, qu’ils serviront tout au plus à trancher quelques questions obscures de chronologie et à dresser de longues listes de rois, de rois dont on ne saura jamais que le nom. Ce sont là, dit-on, jeux d’académiciens, plaisirs raffinés qui trouvent leur récompense dans le plaisir de deviner des énigmes et que l’état n’a pas besoin d’encourager à grands frais.

Un tel langage aurait peut-être été justifié quand la méthode de Champollion en était encore à ses débuts, quand on se bornait à lire péniblement quelques titres royaux et à saisir, tant bien que mal, le sens général d’une inscription historique sans pouvoir rendre compte du détail ; mais depuis les travaux de M. de Rougé, cette méthode a fait des progrès que ne soupçonnent pas les gens du monde. Les résultats obtenus ont maintenant un tout autre caractère et une tout autre valeur. Il n’est qu’un bien petit nombre de mots qui résistent encore à la subtilité d’une analyse patiente, appuyée sur des comparaisons incessantes. On entre dans toutes les finesses de la pensée, on en distingue toutes les nuances, et l’on arrive ainsi à pénétrer très avant dans les profondeurs d’une âme qui nous intéresse d’autant plus qu’elle est plus différente de la nôtre et qu’elle nous représente un état plus primitif de l’esprit humain.

Retrouver et représenter exactement ces états successifs que l’intelligence de l’homme a traversés dans son développement graduel et régulier, c’est, on le sait, le problème qui a le plus occupé, qui préoccupe encore le plus quelques-uns des premiers esprits de notre siècle, les Auguste Comte et les Herbert Spencer, les Max Muller et les Renan, les Fustel de Coulanges et les Taine. L’Égypte, telle que nous la révèlent à la fois ses monumens écrits et ses monumens figurés, peut, croyons-nous, fournir à cette enquête des documens plus variés, plus complets et plus sûrs que ces peuples sauvages auxquels M. Herbert Spencer demande presque