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de cabinet, une instabilité administrative pleine de périls. Aujourd’hui le hasard de la mort a réduit les groupes politiques, et les graves événemens extérieurs semblent les avoir réunis sous la même inspiration. Mais, la crise passée, les divisions reprendront leur cours avec d’autant plus de vivacité que les difficultés seront plus nombreuses, plus variées, plus inextricables.

Quoi qu’il arrive, en effet, et quels que soient les résultats des négociations européennes, la Grèce va se trouver bientôt dans une situation des plus périlleuses. Même si ses ambitions nationales se réalisent, elle aura bien de la peine à éviter une catastrophe financière. Son budget, comme je l’ai déjà dit, a crû dans des proportions effrayantes : en 1846, il était de 14,515,500 drachmes pour les recettes et de 14,104,631 drachmes pour les dépenses ; en 1877, les recettes s’étaient élevées à 39,247,500 drachmes et les dépenses à 41,067,823 ; aujourd’hui le dernier budget déposé par le ministre des finances porte, pour les dépenses, 113,852,722 drachmes, et pour les recettes 51,481,560 drachmes. Les Grecs ayant plus que doublé leur budget cette année, leur déficit pour 1880-1881 dépasse 60 millions de drachmes ! Jamais peuple n’a traité ses finances avec une pareille hardiesse. Il est vrai qu’il fallait à tout prix créer une armée. Jusqu’ici la Grèce n’avait pas d’armée ; elle n’avait que quelques gendarmes et quelques troupes, employés à maintenir l’ordre à l’intérieur. Avec des ressources aussi insuffisantes, comment songer, je ne dis pas à faire des conquêtes, mais à défendre le territoire contre une attaque du dehors ? Depuis les derniers événemens d’Orient, tous les esprits éclairés se préoccupaient d’un danger qui risquait de devenir imminent. Une loi militaire, votée l’année dernière, avait décidé que le service militaire serait universel ; en dix ans, toute la jeunesse grecque devait passer sous les drapeaux ; au bout de dix ans, la Grèce aurait eu des soldats. Mais était-il possible d’attendre dix ans, alors que l’avenir des peuples orientaux est sur le point de se décider ? La conférence de Berlin a posé la question d’une manière pressante. Ne fût-ce que pour occuper les provinces qu’on leur promettait, il fallait aux Grecs les forces qu’ils n’avaient pas ; une armée de trente à quarante mille hommes leur devenait indispensable. Dans le premier mouvement d’enthousiasme, ils n’ont pas voulu s’en tenir là. M. Tricoupis, devançant les prescriptions de la loi, a convoqué d’un seul coup les dix classes qui ne devaient être instruites qu’en dix années. Il a réuni une soixantaine de mille hommes, il les a armés, équipés, formés aux manœuvres. Les résultats obtenus ont été surprenans. Le Grec est un très bon soldat ; habitué à la marche et à la chasse, il n’a pas besoin d’un long apprentissage pour devenir un très bon tireur