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se pose dans tous les débats sans exception ; il suffit que la majorité se trouve en désaccord avec les ministres sur une loi, fût-elle sans importance, sur un point de politique, fût-il sans gravité, pour que ceux-ci tombent. Il n’y a pas une discussion où la vie ministérielle ne soit en jeu. L’instabilité qui en résulte se comprend sans peine. Cette chambre toute-puissante est nommée au scrutin d’arrondissement, en sorte que les intérêts locaux y dominent presque toujours les intérêts généraux. Un député ne peut représenter que sa propre région ; s’il échoue dans son canton, il lui est défendu de poser ailleurs sa candidature ; de là, l’ardeur des luttes électorales, qui sont toujours des luttes à mort ; de là aussi l’importance exagérée accordée aux questions personnelles. Le spectacle des délibérations de la chambre est fort intéressant, même pour un étranger qui ne connaît pas la langue et qui ne peut comprendre les discours. Le coup d’œil de l’assemblée est fort pittoresque ; il ne donne guère l’impression d’une réunion souveraine, mais il plaît pour la variété, pour la gaîté des couleurs, des costumes et des physionomies. La salle est vulgaire, la masse des députés ne l’est pas moins ; mais un certain nombre de palikares se détachent de ce fond un peu terne ; on les voit couchés sur leurs bancs avec une négligence qui n’est pas sans grâce et qui donnerait à croire par momens que ces législateurs d’un peuple libre sont des figurans d’opéra prêts à monter une sérénade. Leur bonnet rouge, leur veste soutachée d’or, leurs jupons blancs, les grandes guêtres qui couvrent leurs jambes jusqu’aux genoux, où elles sont élégamment brodées et découpées autour d’une jarretière à glands de laine font oublier les plus tristes débats parlementaires. Les autres députés montrent également la plus grande nonchalance, le laisser-aller le plus parfait. Le chapeau sur la tête, la canne à la main, le pardessus sur le bras, ils ne se gênent pas pour les tribunes qui, de leur côté, ne se gênent pas pour eux. Tous les spectateurs des scènes parlementaires gardent comme ces orateurs le chapeau sur la tête ce qui d’ailleurs est tout à fait conforme aux mœurs orientales. Les femmes occupent une place réservée, autre trait de mœurs orientales que les Grecs ont eu tort de conserver. On n’a pas besoin de cartes pour entrera la chambre. Dès qu’on ouvre les portes, chacun va se mettre où il veut, c’est-à-dire où il peut. Les séances sont très suivies par le peuple, qui se presse en foule dans les tribunes et qui n’hésite jamais à donner aux orateurs des marques bruyantes d’approbation ou d’improbation. Les députés applaudissent peu ; les tribunes, en revanche, applaudissent très fort. La tenue de la chambre est d’ailleurs fort calme. Ce n’est pas que les orateurs gardent une grande modération dans leurs discours ; mais les plus grandes brutalités passent sans soulever d’orages, parce