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reparle encore. Mais avoir fait en quelques années une université comme celle d’Athènes est pour les Grecs un véritable titre à l’admiration qu’ils désirent si ardemment. Seuls, de toutes les races de l’Orient, ils se sont trouvés dignes de la liberté le jour même où ils l’ont obtenue. Ils n’ont pas eu besoin d’une longue éducation pour prendre leur place dans l’élite intellectuelle de l’Europe. On leur reproche d’avoir quelque peu négligé jusqu’ici l’étude des sciences exactes, de s’être consacrés presque exclusivement à l’histoire, aux lettres, à l’épigraphie. Mais n’était-il pas assez naturel que le premier usage qu’ils fissent de leur esprit fût de raviver les souvenirs de leur merveilleux passé ? Il y a parmi eux des historiens remarquables, comme M. Paparrigopoulos, des épigraphistes qui ne craignent aucun rival, comme M. Koumanoudis ; il y a aussi des jurisconsultes d’une rare distinction, comme MM. Calligas et Sarripolos. Les naturalistes, les mathématiciens, les chimistes viendront plus tard ! L’instruction qui règne dans toute la société d’Athènes est très supérieure, je ne dis pas seulement à celle qu’on rencontre en Orient, mais même à celle qu’on trouve d’ordinaire en Occident. Athènes possède, je l’ai dit, depuis plusieurs années une école comme nous venons à peine d’en fonder en France, où les jeunes filles reçoivent un enseignement secondaire des plus développés. Je ne l’ai point visitée, mais, à en juger par les résultats qu’elle produit, elle est parfaite. C’est parfois une cruelle déception, dans les colonies grecques de la Turquie, de rencontrer des femmes auprès desquelles l’admiration doit être muette, parce que l’exquise beauté des traits, l’éclat étonnant du regard, ne sont point hélas ! soutenus chez elles par les grâces de l’esprit. Il n’en est pas de même à Athènes. Les Athéniennes sont toutes capables de causer d’une manière agréable, et la conversation de quelques-unes d’entre elles rappelle ce qu’on a entendu de plus vif, de plus spirituel, de plus sérieux au besoin, et au besoin aussi de plus gai. Elles savent fort bien le français, elles en comprennent les nuances les plus fines, elles s’en servent comme des Parisiennes. Il m’est souvent arrivé à Athènes d’oublier que j’étais en Grèce en entendant parler ma langue avec une délicatesse fort rare, en France même et que je ne m’attendais pas à trouver au pied de l’Acropole.

Ce qui me rappelait à la réalité, ce sont les traits de défiance dont toute causerie avec un philhellène douteux comme moi est nécessairement émaillée. Sous mes éloges même on cherchait des épigrammes, ce qui me valait des répliques très piquantes, mais dont à la longue on ne laisse pas d’être un peu fatigué. Dans leur préoccupation de vous plaire à tout prix, coûte que coûte, les Grecs finissent par vous causer une sorte de gêne. On ne se sent pas tout