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habitans, soit une augmentation annuelle de 1.36 pour 100, ce qui montre que la population double en cinquante-neuf ans. Il est probable que les résultats des six dernières années seront aussi remarquables que ceux des neuf précédentes. Or la population ne double en France qu’en cent soixante-cinq ans, en Suisse qu’en cent quarante et un ans, en Italie qu’en cent trente-six ans, en Belgique qu’en soixante-dix-sept ans. Il faut arriver à l’Angleterre pour trouver un accroissement égal à celui de la Grèce. La population de l’Angleterre double en cinquante-sept ans, celle de la Prusse en quarante-huit ans et celle de la Saxe en trente-neuf ans. Si la Grèce n’est pas au haut de l’échelle, on voit qu’elle occupe un degré fort honorable et que de très grandes puissances auraient beaucoup à lui envier sous ce rapport.

Cette question de l’accroissement de la population est d’ailleurs capitale pour la Grèce. Dans la lutte que vont se livrer les diverses races qui se disputent la presqu’île des Balkans et la succession de l’empire ottoman, les Grecs auront les Bulgares pour premiers rivaux, pour principaux antagonistes. Il est à peu près inévitable que les Bulgares l’emportent sur eux par le nombre, sinon par l’intelligence et par l’activité. Le Bulgare est sobre, travailleur, singulièrement prolifique. Il vit de quelques haricots ; il n’a aucun goût coûteux ; il est incapable de la moindre fantaisie dangereuse. Doué des robustes vertus qui font le laboureur, il cultive la terre avec une patience et une énergie que les Grecs n’auraient jamais, même si la nature de leur sol leur permettait de se livrer à l’agriculture. Les travaux des champs ne l’exposent à aucun péril personnel ; il a été exempté jusqu’ici du service militaire ; il est probable que longtemps encore on se battra pour lui. Il peut se développer et peupler à l’aise, à l’abri des accidens ordinaires de la fortune. Dans tous les villages où il pénètre, il s’étend tellement qu’il n’y a plus bientôt de place que pour ses enfans et lui. Le Grec est dans une situation bien différente. Si sa sobriété égale celle du Bulgare, l’existence qu’il mène l’expose à toute une série d’aventures auxquelles il lui est souvent difficile d’échapper. Le travail de la terre conserve longtemps la santé et la vie ; le commerce et la marine, les seuls métiers qui conviennent au Grec, usent les forces, raccourcissent les jours, entraînent souvent des catastrophes. Combien de Grecs périssent chaque année sur les légères embarcations avec lesquelles ils affrontent les tempêtes de la Méditerranée ! Combien risquent de périr désormais, les armes à la main, pour réaliser leurs patriotiques ambitions ! Jusqu’ici la Grèce avait pu se dispenser d’avoir une armée ; elle vient d’en former une ; elle devra la garder. Pour résister à tant de causes de destruction, si la race grecque ne s’accroissait pas sans cesse,