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est inconnu en. Grèce, ou du moins il y est mal pratiqué. J’ai presque failli moi-même être exposé un jour à une épreuve du genre de celle du corset, telle qu’elle est décrite dans la Grèce contemporaine. On peut donc m’en croire, puisque j’ai été déçu. C’était par une délicieuse journée d’hiver, sur le chemin de fer d’Athènes au Pirée. La campagne de l’Attique était inondée d’une lumière éclatante, l’Acropole brillait à l’horizon. Il faisait très chaud. J’avais à côté de moi, dans le wagon, une jeune fille douée de cette beauté particulière de l’Orient, dont le charme est irrésistible : des yeux à percer les cœurs les plus rebelles, un profil antique, un teint bronzé, une richesse de formes admirable. Elle me donnait de temps en temps, comme par mégarde, des petits coups d’ombrelle. L’excessive chaleur l’ayant obligée de quitter son manteau, il était impossible de ne pas remarquer la perfection de son buste et de ne pas entendre trotter dans son imagination toutes les histoires de M. About. Tout à coup deux mains s’emparent des miennes, quelqu’un se jette dans mes bras, une tête charmante se pose sur mon épaule, ses cheveux frôlent ma joue, je sens son haleine… J’ai cru quelques secondes à la véracité de la Grèce contemporaine ! Aussi faisais-je un appel suprême à ma présence d’esprit pour me conduire avec délicatesse dans cette piquante et terrible aventure. Hélas ! je ne courais aucun risque ; je n’avais besoin d’aucun courage. C’est un simple déraillement qui avait mis ma voisine dans mes bras. Elle s’est relevée plus rouge que l’Hymette au soleil couchant, et, jusqu’au Pirée, je n’ai plus reçu le moindre coup d’ombrelle. C’est depuis lors que je suis convaincu que les vertus des Grecques ne sont pas des vertus de rouées.

En somme, si les mariages ne se font pas en Grèce par les procédés ingénieux dont les voyageurs romanciers nous ont entretenus, ils n’en valent pas moins pour cela. S’ils sont heureux, je l’ignore, mais ils sont féconds. La population du royaume n’a pas cessé de croître depuis l’indépendance. Un premier recensement, fait en 1838, avait donné le chiffre de 752,000 habitans, celui de 1870, a donné 1,457,894 habitans. Il est vrai qu’il faut en défalquer les 229,516 habitans des îles Ioniennes qui, n’appartenant pas à la Grèce avant 1864, n’avaient pu être compris dans le recensement de 1838. Mais, cette défalcation faite, il reste encore une population de 1,228,378 habitans, chiffre qui, comparé à celui de 1838, donne une augmentation de 476,378 habitans en trente-deux ans, soit 63 pour 100. On peut supposer que le recensement de 1838 n’a pas été très régulièrement fait, mais celui de 1861 avait fourni une population de 1,096,018 habitans. En se bornant donc à la période de neuf ans qui s’est écoulée de 1861 à 1870, la différence en plus au profit du dernier recensement s’élève à 132,360