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Il n’en est rien. Le soir, vers sept heures, à la sortie de la chambre des députés, les débats parlementaires se poursuivent parfois dans un café. On entend alors les invectives tapageuses circuler de table en table, passer au travers des portes et gagner jusqu’aux trottoirs. Mais ce léger vacarme s’éteint vite. Passé huit ou neuf heures, les rues sont désertes ; on y rencontre peu de promeneurs attardés, encore moins de voitures glissant sourdement dans la poussière. Les cafés sont presque vides : deux ou trois enragés politiques y gourmandent seuls l’Europe en dégustant une tasse de café, un verre de limonade, ou en fumant un narghilé. Au moment où j’ai vu Athènes, elle aurait dû présenter la plus vive animation, puisqu’elle était remplie de soldats venus non-seulement de tous les points du royaume, mais de tous les recoins du monde hellénique ; des volontaires, gens d’ordinaire peu tranquilles, y affluaient sans cesse ; la population, surexcitée par des idées guerrières, y éprouvait, disait-on, les passions les plus violentes ; on ne parlait partout que de combats, de révoltes, de révolutions, de carnages. Il n’y avait pas un seul Grec qui n’affirmât sérieusement qu’Athènes était sur un volcan, pas un qui ne répétât : « Nous sommes en pleine fièvre ! nous ne nous possédons plus ! » Les conversations sentaient la poudre ; on entendait, du matin au soir, le bruit du tambour, des trompettes et des exercices de tir. C’était d’ailleurs le seul bruit qu’on entendît, avec celui des discours parlementaires.

En se promenant dans les rues, le calme des physionomies, la nonchalance des démarches, l’air rassuré et satisfait qui brillait sur les visages, étonnaient. De petits soldats bien raisonnables parcouraient la ville sans pousser aucun cri, sans chanter aucun air patriotique, sans répandre autour des cafés le plus léger tumulte. Il paraît que l’aspect d’Athènes est toujours aussi calme. Même lorsque la population se livre à une manifestation politique, la voie publique n’est pas troublée. Les choses se passent doucement, en famille : les soldats, la police, se mêlent à la foule ; on marche ainsi presque sans mot dire. Il y a des peuples qui manifestent en dehors, d’autres qui manifestent en dedans. Les Grecs manifestent en dedans. C’est ce qui m’a le plus surpris chez eux, je l’avoue, car il y a, sous ce rapport, une différence radicale entre les habitans d’Athènes ou du royaume hellénique et les Grecs qui vivent à l’étranger. Rien de plus violent, de plus porté aux rixes, de plus brutal que les Grecs d’Égypte par exemple. A Alexandrie et au Caire, les quartiers grecs sont à bon droit fort mal famés. A chaque fête, on y entend les démonstrations les plus bruyantes, toujours suivies de querelles où le sang est versé. Il faut voir les Grecs dans leur patrie, non dans leurs colonies : ils y gagnent beaucoup. Tous les renseignemens que j’ai pu recueillir à Athènes m’ont montré