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Plus que personne ils ont besoin d’une vigoureuse unité pour résister aux causes de dissolution dont ils sont environnés. Menacés d’être engloutis sous l’inondation slave, qui pressera toujours d’un poids énorme la digue fragile de leurs frontières, placés en face de races toujours prêtes à les écraser par le nombre et par l’énergie militaire, ils ne peuvent se sauver qu’en réunissant leurs forces, qu’en les formant en faisceau, qu’en organisant à côté des grandes agglomérations voisines une individualité nationale bien distincte, douée d’une vie originale, ayant un caractère très tranché, opposant aux qualités puissantes de ses rivales les qualités fines et brillantes dont ils retrouveront la tradition dans les souvenirs de leur incomparable passé. Sous ce rapport, le choix d’Athènes comme capitale a été une heureuse inspiration. C’est à elle que devait revenir la maîtrise de la Grèce moderne. Aujourd’hui Sparte serait bientôt vaincue : son génie brutal périrait dans des luttes inégales ; les masses slaves engloutiraient sans peine les petits bataillons d’élite avec lesquels elle chercherait à suspendre leur marche. Qui sait, au contraire, si l’esprit charmant d’Athènes ne parviendrait pas à les arrêter ? Quoi qu’en pensent les sceptiques, les forces morales jouent un grand rôle dans les choses de ce monde, et ceux qui sont dépourvus de forces matérielles peuvent encore y chercher sans témérité une espérance de salut.


I

La ville d’Athènes ne ressemble plus à celle que M. Edmond About a décrite ; on se rappelle le tableau, il était trop spirituel pour n’être pas resté dans toutes les mémoires. Était-il exact ? Je n’oserais l’affirmer. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’il ne l’est plus. On ne dort plus en plein vent dans les rues d’Athènes ; la malpropreté n’y est plus repoussante : je n’y ai pas rencontré un seul corbeau mort, une seule poule écrasée, un seul chien en décomposition. La police n’y permet plus aux propriétaires de creuser de grands trous à chaux devant leurs maisons. Les ruisseaux y sont toujours un peu sales, parce que l’eau, trop peu abondante, n’y court jamais, mais ils ne produisent plus de cloaques. Les hôtels ressemblent à tous les hôtels d’Europe. Quant aux fiacres, ils ne sont ni disloqués, ni mal tenus, ni dépourvus de carreaux et pour le moins d’une roue. Ce sont de beaux landaus fort propres, traînés par des chevaux dont le galop est l’allure naturelle, conduits par des cochers dont les seuls défauts sont de n’avoir point de tarif, ce qui leur permet d’écorcher indignement les voyageurs, et de ne savoir que le grec, ce qui rend très difficile aux étrangers d’employer leurs services. La rencontre de cochers capables de les comprendre