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seront pris dans les rangs de cette armés seront fusillés comme ayant passé à l’ennemi. Dès lors, la Grèce s’expose à voir, au début des hostilités, une partie des forces qu’elle aura réunies à grands frais disparaître et fondre. Mais c’est là le moindre des périls que les volontaires grecs font courir au royaume hellénique. Ce sont eux qui le forceront peut-être à se battre, malgré les avertissemens de l’Europe, malgré les conseils du bon sens. Est-il possible en effet, de les renvoyer dans leurs foyers « sans avoir mis leur courage à l’épreuve, sans avoir usé de leur dévoûment ? Ils y rentreraient dégoûtés, persuadés qu’il n’y a plus aucun fond à faire sur la Grèce, résignés à se jeter dans les bras du premier peuple qui leur offrirait de les délivrer du joug ottoman. Les hommes d’état d’Athènes sont beaucoup trop fins pour se faire illusion sur les chances que leur offrirait une guerre avec la Turquie ; mais il leur semble que la défaite vaudrait mieux qu’une défaillance nationale qui briserait pour toujours les espérances du monde hellénique.

Je n’ai pas le dessein d’étudier ici la situation de la Grèce ni de rechercher la conduite qu’elle devrait tenir pour sortir de la crise actuelle sans compromettre ses destinées. Il m’a semblé seulement qu’à la veille d’événemens décisifs pour l’avenir d’un pays auquel se rattachent tant de glorieux souvenirs, tant de généreuses illusions, tant de légendes et d’émotions poétiques, il y avait quelque intérêt, à se demander ce qu’il a fait depuis sa délivrance, s’il s’est montré digne de l’indépendance, s’il a mérité toutes les critiques qu’on lui a quelquefois adressées ou toutes les louanges que des amis maladroits ont eu le tort de lui prodiguer. Pour traiter à fond un pareil sujet, il faudrait avoir visité la Grèce dans toutes ses parties, en avoir parcouru les provinces, avoir vu fonctionner de près ses institutions administratives, et, ce qui est plus important encore, ses administrateurs, avoir fait en un mot une série d’observations que je n’ai pas faites et dont je ne saurais me passer, à l’exemple de ces voyageurs qui tirent des conclusions de détails qu’ils ignorent et qu’ils supposent avec une déplorable légèreté. Mais la création d’une capitale est pour une nation la première condition d’existence. Le génie de chaque peuple se reflète plus ou moins dans la ville où se concentre sa vie politique, intellectuelle et morale. « Je ne suis Français, disait Montaigne, que par cette grande cité de Paris, la gloire de la France et l’un des plus nobles ornemens du monde. » Presque tous les pays pourraient en dire autant de leur capitale. Les Grecs en particulier ne seront vraiment Grecs que par Athènes, s’ils parviennent à vaincre l’esprit de clocher, le patriotisme local et provincial qui a été leur perte sous l’antiquité et qui risque encore de causer un jour leur ruine.