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la prudence, les Turcs sont d’assez fins diplomates, pour voir que l’Europe, par cela même qu’elle offre un arbitrage, cesse de s’en tenir aux décisions de la dernière conférence de Berlin. L’Europe ne peut pas s’ériger en tribunal de conciliation et de paix uniquement pour confirmer des résolutions déjà prises, pour trancher le débat contre ceux qui se seraient confiés en son équité ; elle le peut d’autant moins qu’elle prendrait la plus redoutable des responsabilités, qu’elle ne ferait qu’ajouter aux complications orientales. Le jugement européen dut-il avoir pour effet, ce qui est d’ailleurs vraisemblable, d’étendre un peu les sacrifices territoriaux auxquels les Turcs ont déjà consenti, la question ne serait plus la même pour eux ; elle ne serait désormais qu’entre les concessions déjà faîtes et quelques concessions nouvelles nécessairement limitées. Les Turcs, dans leur fierté ombrageuse, on le voit bien, ont de la peine à aliéner leur initiative, à remettre entre les mains de l’Europe ce qu’ils considèrent comme une prérogative de leur indépendance, le droit de négocier eux-mêmes sur les concessions qu’ils doivent faire. Puisque les événemens ont tourné ainsi, pourquoi pousseraient-ils l’orgueil jusqu’à décliner une médiation supérieure, qui n’a rien d’humiliant pour eux, qui n’a d’autre objet que de maintenir une paix dont ils ont un besoin encore plus pressant que tous les autres pays, s’ils veulent se raffermir dans ce qui leur reste du vieil empire ottoman ?

C’est l’avantage des Turcs, c’est encore plus l’avantage des Grecs de sortir de cette crise par une transaction revêtue de la sanction européenne, et, malheureusement, les Grecs ne sont pas plus faciles à convaincre que les Turcs. L’exaltation de ce petit peuple hellénique, nourri de ses vieux souvenirs, plus, gonflé encore de ses ambitions nouvelles, cette exaltation s’explique sans doute. Les Grecs se sont laissés aller à l’excitation des événemens, aux entraînemens de leur propre nature, et ils ont aussi pour excuse d’avoir été imprudemment flattés dans leurs espérances, dans leurs illusions, si bien que le jour vient où la raison a de la peine à se faire écouter. Bref, à l’heure qu’il est, à Athènes, dans le parlement, dans le gouvernement, il y a comme une émulation d’ardeur patriotique et guerrière. Si le chef de l’opposition, M. Tricoupis, se plaît à enflammer les passions nationales contre l’arbitrage européen, le chef du cabinet du roi George, M. Coumoundouros, est obligé de renchérir ou, tout au moins, de ne pas se laisser dépasser en véhémence. À tout ce qu’on peut lui dire, la Grèce n’a jusqu’ici qu’une réponse : « Ce sont les puissances qui ont mis la Grèce dans la voie où elle est en consentant à un nouvel ordre de choses en Orient, en favorisant les efforts des nationalités pour se rendre indépendantes, en permettant à la Russie d’ébranler la Turquie, en faisant naître de grandes espérances par le traité de Berlin, qui reconnaît la nécessité d’une nouvelle délimitation, enfin en précisant le tracé des frontières dans la