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sujet. Le 21 janvier 1795, la convention célébrant l’anniversaire de l’exécution de Louis XVI, des murmures vinrent troubler l’orchestre ; un député prît la parole, demanda aux musiciens s’ils se réjouissaient de la mort du tyran ou s’ils la déploraient, et Gossec, auteur de la musique, dut descendre à la barre pour expliquer ainsi ses intentions : « Est-il possible qu’un doute aussi injurieux se soit élevé sur les intentions des artistes qui sont réunis dans cette enceinte ? On se livrait aux douces émotions qu’inspire aux âmes sensibles le bonheur d’être délivré d’un tyran, et de ces chants mélodieux on eût passé aux chants mâles de la musique guerrière… Citoyens représentans, nous marcherons constamment pour culbuter les tyrans et jamais pour les plaindre. » Les explications de Gossec donnent la note vraie. Et si pendant quelques mois la convention, sur qui pèse le lourd souvenir de tout ce qu’elle a commis ou laissé commettre de crimes, est obligée de subir le mouvement de l’opinion, de laisser chanter le Réveil du peuple et siffler la Marseillaise, de laisser crier : A bas les terroristes ! à bas les jacobins ! et de souffrir qu’on traîne à l’égout les bustes de Marat, installés au foyer des théâtres, le directoire va faire revivre les procédés tyranniques de la terreur elle-même.

Le 4 janvier 1796, le directoire rend l’arrêté suivant : « Tous les directeurs, entrepreneurs et propriétaires des spectacles de Paris, sont tenus, sous leur responsabilité individuelle, de faire jouer chaque jour, par leur orchestre, avant la levée de la toile, les airs chéris des républicains, tels que : la Marseillaise, Ça ira, Veillons au salut de l’empire, le Chant du départ. Dans l’intervalle des deux pièces on chantera toujours l’Hymne des Marseillais ou quelque autre chant patriotique. » Merlin, ministre de la police, tient la main à l’exécution de l’arrêté. Un soir, au théâtre Feydeau, le chant patriotique est chanté par un acteur « dont l’air gauche et embarrassé ne pouvait manquer d’exciter le rire des spectateurs. » Le ministre de prendre aussitôt la plume et d’écrire au bureau central : « Je vous invite à veiller sévèrement à ce que de pareils abus ne se renouvellent pas. » Malheureusement le théâtre Feydeau, comme disent les rapports de police, ayant « l’esprit très chouanisé, » il faut recourir aux mesures de force, et Merlin écrit à Bonaparte, le 21 février : « Je vous invite, citoyen général, à faire placer, vers les six ou sept heures du soir, un piquet de dragons dans les avenues de ce théâtre. Je ne doute pas que le seul aspect de ces défenseurs de la liberté ne réduise le royalisme au silence. » Cependant on refuse l’entrée des théâtres aux femmes qui ne portent pas la cocarde nationale ; on ferme le théâtre de la rue de Louvois, dont la directrice, Mlle Raucourt, est accusée de « royalisme ; » on décrète la suppression des mots de madame et de monsieur dans toutes les pièces dont le sujet n’est pas antérieur à 1792 ; on interdit la représentation de Zaïre le 12 frimaire, parce que « cette date correspond à un jour férié dans le culte