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« Quel moyen que le théâtre si le gouvernement sait en user et qu’il soit question de préparer le changement d’une loi ou l’abrogation d’un usage ! » Mais, en outre, cette affectation de sensibilité que M. Welschinger a notée dès les premières pages de son livre, et ailleurs, très justement, comme un trait caractéristique du théâtre révolutionnaire, n’est-ce pas encore Diderot qui l’a introduite au théâtre, avec son Fils Naturel et son Père de famille ? Et le dialogue décousu, le monologue entrecoupé, les intervalles du geste remplis « par quelques monosyllabes, » tantôt par une « exclamation, tantôt par « un commencement de phrase, » mais rarement par « un discours suivi, quelque court qu’il soit, » est-ce que tout cela n’est pas toujours de l’héritage de Diderot ? « Où courir ? .. où le trouver ? .., un nuage… obscurcit mes yeux… mes pas sont enchaînés… le désespoir… la rage… Guide-moi, Dieu de vengeance ! .. Dieu de fureur ! ne m’abandonne pas… rends-moi la force… livre à mes coups… mes genoux fléchissent… je chancelle… je tombe… je me meurs[1]… » Quant à l’influence de Voltaire, la voici, dès les premiers jours, aisément reconnaissable dans la déclamation rimée de Marie-Joseph Chénier : Charles IX, ou l’École des rois. Ici commence, à la date précise du à novembre 1789, l’histoire du théâtre de la révolution.

Quelques traits méritent qu’on les signale dès à présent. C’est d’abord la réapparition au grand jour de la scène de toutes les tragédies arrêtées par la censure monarchique ; le Charles IX lui-même de Chénier, le Comte de Comminges de d’Arnaud, l’Honnête criminel de Fenouillot de Falbaire, combien d’autres encore ? Et je m’étonne un peu que, dans les premières pages du chapitre qu’il consacre à la censure, M. Welschinger se soit contenté, sans plus, de résumer sur ce point les indications données jadis par M. Hallays-Dabot[2], tandis qu’au contraire nous croyons qu’il eût été bon de les développer. Ce sont en effet, de 1789 à 1792 au moins, les restes de l’ancien régime qui défraient le théâtre de la révolution. Ce théâtre ne vit pas encore, pour ainsi dire, de sa propre substance, mais bien des reliefs du théâtre classique. La première tragédie d’Arnault, Marins à Mintumes, est de 1791, et de 1792 l’une des dernières comédies de Collin d’Harleville, le Vieux Célibataire. En 1793 même, un des grands succès sera celui du médiocre Guillaume Tell de Lemierre, donné jadis pour la première fois en 1766. Pour en tirer un chef-d’œuvre au goût nouveau du jour, on se contentera d’en allonger le titre : Guillaume Tell, ou les Sans-Culottes suisses. O Melchthal et Stouffacher ! qu’en avez vous bien pu penser ?

Un autre trait, c’est la division et bientôt la désorganisation de la Comédie-Française. Marie-Joseph, avec son Charles IX, a partagé les comédiens en deux camps. Depuis lors, dans les coulisses et jusque sur

  1. Les Victimes clôturées, act. III, sc. X.
  2. Voy. Hallays-Dabot, Histoire de la censure théâtrale en France, 1862.