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d’inégalité dans laquelle ils se trouvent vis-à-vis des autres nations. La France, où chaque génération nouvelle se complaît à faire dévorer par une révolution les épargnes de la génération précédente, a traversé deux fois cette épreuve ; mais grâce à sa merveilleuse richesse, elle n’a pas eu besoin de recourir au papier-monnaie proprement dit. En 1870 comme en 1848, il a suffi d’attribuer le cours forcé aux billets de la Banque de France, sans retirer à ce grand établissement ni sa responsabilité ni son indépendance. En 1848, la circulation métallique de la France et l’encaisse de la Banque se composaient presque exclusivement d’espèces d’argent, et il y avait à peine quelques années que la Banque avait consenti à abaisser de 500 francs à 200 la plus faible coupure de ses billets. Il n’y avait donc pas d’instrument d’échange intermédiaire entre la pièce de 5 francs et le billet de 200 francs, et force était bien au commerce et à l’industrie d’aller puiser au réservoir commun, c’est-à-dire à la Banque de France, par l’échange des billets, les espèces nécessaires à tous les petits paiemens. L’encaisse de la Banque menaçait donc de s’épuiser rapidement, parce que les besoins imaginaires créés par la panique venaient s’ajouter aux besoins réels et les dépassaient de beaucoup ; la Banque se fût trouvée impuissante à continuer ses services au public En comblant, par la création des billets de 100 francs, la lacune qui existait dans notre circulation et en attribuant le cours forcé aux billets de la Banque, le gouvernement français conjura la crise qui devenait imminente. Les espèces d’argent, que leur poids rendait d’un usage incommode, ne tardèrent pas à retourner dans les caveaux de la Banque ; en quelques mois, l’encaisse de ce grand établissement atteignit et dépassa les proportions qu’elle avait avant la révolution ; et lorsque le cours forcé fut aboli légalement en 1850, il y avait longtemps qu’il avait cessé d’exister en fait. Le gouvernement avait pourvu courageusement à ses besoins par l’imposition des 45 centimes : ce n’était donc point pour satisfaire à des nécessités budgétaires qu’il avait décrété le cours forcé. Il n’en a pas été ainsi en 1870, où le gouvernement s’est trouvé impuissant à faire face aux dépenses de la guerre avec les ressources ordinaires ; mais cette fois encore, il n’a pas eu besoin de créer un papier-monnaie officiel : il a pu se borner à obtenir de la Banque de France un prêt qu’il a remboursé sur le produit des taxes nouvelles. L’attribution du cours forcé aux billets de banque était la conséquence inévitable de la multiplication rapide de ces billets, devenus momentanément le seul moyen de paiement à la disposition de l’état ; mais on peut dire qu’en fait le cours forcé n’a existé que pendant la durée des hostilités. En effet, dès 1873, l’encaisse métallique de la Banque approchait de 900 millions ; elle était arrivée, à la fin de décembre 1874, à 1,331 millions,