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auraient acheté à coups d’arrêts la faveur de continuer à rendre la justice. Tout au contraire, plus le danger devient pressant et plus le langage est hardi ; nulle trace de défaillance, les cœurs sont fermes, les allures fières. Le défi jeté à la magistrature qu’on insulte, à l’inamovibilité qu’on menace est relevé de telle sorte que les juges, loin de s’abaisser, semblent prendre plaisir à se compromettre. A l’inamovibilité suspendue par l’une des chambres les magistrats ont répondu en attestant leur indépendance. Le premier éclat est passé ; ils ont bondi sous l’injure ; nous le comprenons ; mais ils ne seraient pas pardonnables de ne pas reprendre possession d’eux-mêmes. En nommant sa commission, le sénat a montré qu’il tenait l’inamovibilité pour un principe fondamental de nos lois ; comme en 1815, la chambre haute va répondre à la chambre introuvable. La réponse sera la même. Les rédactions de personnel, si elfes sont prononcées, ne donneront pas au garde des sceaux un choix arbitraire. Tout est là, c’est le nœud de la discussion. Par leur tenue, par leur impartialité et leur calme, les magistrats peuvent rendre le succès plus prompt, l’issue de la campagne plus décisive. Qu’ils se tiennent à l’écart des luttes de partis, qu’ils continuent à juger suivant leur conscience tous ces déclinatoires qui altèrent les compétences et qui blessent la justice, mais qu’en dehors de ce qui leur est strictement demandé, ils ne mêlent aux motifs de leurs arrêts ni un cri de colère ni un accent de rancune.

Aux manœuvres d’un parti qui veut prendre possession de la magistrature pour la précipiter dans les luttes politiques et l’asservir à ses passions, qu’elle réponde en se dégageant de toute passion pour obéir à la seule voix de la justice. « Dès que la politique, a dit un jour M. Guizot, pénètre dans l’enceinte des tribunaux, peu importent la main et l’intention qui lui en ont fait franchir le seuil, il faut que la justice s’enfuie. Entre la politique et la justice, toute intelligence est corruptrice, tout contact est pestilentiel. En la recherchant, la politique s’accuse ; en s’y prêtant, la justice se perd. Que la société regarde donc bien aux moindres symptômes de rapprochement, qu’elle s’en inquiète dès le premier jour et ne se laisse imposer par aucune excuse. Ni les circonstances ni les hommes, rien ne doit rassurer contre le fait même. Si les circonstances sont graves, elles s’aggraveront ; si les hommes sont honnêtes, ils se pervertiront. » (Moniteur 1846, p. 1411.)

Ce langage est vrai sous une république comme sous une monarchie. Plus le gouvernement est démocratique, et plus les institutions judiciaires sont appelées à jouer un rôle important. Nous avons appris, à l’exemple de l’Amérique, dans quelle sphère inaccessible