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actuellement le personnel de cent cinquante sièges, quatre cent cinquante magistrats de tribunaux seraient supprimés,[1].

Lorsque ce système a été proposé, le 15 novembre 1876, par M. Dufaure, alors garde des sceaux, dans le projet présenté au sénat, l’attention publique était distraite. Beaucoup de magistrats niaient encore la nécessité d’une réforme ; on pensait que les tribunaux d’arrondissement, sous leur forme actuelle, pouvaient être sauvés ; on ne parut frappé que de la nécessité imposée aux magistrats de se rendre du chef-lieu du département au chef-lieu d’arrondissement. Il semblait que le juge ne pût, sans déroger, se déplacer pour aller tenir une audience.

Ce sont là des exagérations qui compromettent la magistrature en voulant la mettre dans une sphère à part. Nous avons vu dans d’autres pays des juges voyager pendant des mois entiers pour rendre la justice dans de longs circuits, passer par tous les wagons et toutes les voitures publiques sans que le respect cessât de les entourer. À ces singuliers scrupules quel démenti ne donnent pas nos conseillers de cour d’appel trouvant à leur arrivée dans les villes d’assises un prestige qu’ils doivent à la distance autant qu’à leur rang ! quand le juge venu pour présider arrivera du chef-lieu du département, qu’on se rassure, nul ne songera à récuser son autorité, Est-ce donc la fatigue imposée aux magistrats qui doit nous empêcher de soutenir la réformé ? En vérité, pour un certain nombre de tribunaux, cet argument ne semble pas sérieux. A-t-on calculé les difficultés que le juge de Versailles rencontrerait s’il lui fallait aller à Rambouillet pour y tenir chaque semaine une audience ? En trente-huit minutes par l’express, en une heure par les trains lents, il se rendrait à Rambouillet et reviendrait chaque soir. Il est vrai que nous choisissons un des voyages les plus simples ; mais sait-on qu’il y a plus de cinquante tribunaux qui sont séparés par des distances aussi courtes ? Pour de tels déplacemens, quelle objection peut-on découvrir ? Dans le tribunal le plus occupé de France, combien de magistrats, combien de membres du barreau qui chaque jour se rendent dans le chef-lieu du département voisin où est fixée leur résidence ! Or nous ne songeons pas à appliquer la réforme à des tribunaux exigeant comme celui de Paris cinq audiences par semaine. — Il y a mieux : les mœurs semblent avoir précédé la loi. En certains sièges, les magistrats habitent presque tous le chef-lieu du département et viennent au tribunal pour les audiences. L’impossibilité alléguée par les adversaires du

  1. Le projet déposé par M. Vente le 18 novembre 1875 concluait à la suppression de 218 magistrats de tribunaux. Rédigé par des magistrats après examen des travaux de chaque siège, il donnait les résultats les plus précis. Il y aurait à examiner quelles rédactions pourraient être faites de ce chef.