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par chambre, — des grandes villes qui dépassent 4 à 500, — si nous les comparons à des chefs-lieux où ne siège qu’une chambre, nous trouvons soixante-six tribunaux réellement occupés, c’est-à-dire où plus de 300 affaires sont expédiées par trois ou quatre magistrats. Pour une chambre, 400 affaires étant la moyenne convenable, on peut assurer que les cent tribunaux qui jugent la moitié de ce chiffre n’ont pas une occupation suffisante.

La statistique, loin d’inspirer la défiance qui accueille souvent ses données lorsqu’elles semblent favoriser une thèse, doit être ici crue sur parole ; chez les magistrats qui en adressent à la chancellerie les élémens et qui en contrôlent, lors de la publication, la rigoureuse exactitude, existe un désir ardent de sauver le tribunal. Le substitut, tout en maudissant le siège auquel il est attachent en cherchant tous les moyens d’en sortir, n’hésite pas plus que le greffier à compter par amour-propre, dans les cas douteux, un incident pour une affaire.

Le fait est donc incontestable ; il y a plus d’une juridiction où les audiences ne demandent au magistrat que peu de jours dans la semaine et peu d’heures dans la journée, où le tribunal est inoccupé en fait, où le président et l’un des juges passent une partie de l’année dans une propriété voisine, où le procureur de la république et son substitut sont alternativement absens, le parquet ne pouvant raisonnablement occuper deux magistrats, de telle sorte qu’à part le rendez-vous hebdomadaire pour une ou deux audiences, tenues coup sur coup, le tribunal n’est représenté sous une forme permanente que par un membre du parquet et le juge d’instruction.

Dans cette existence vide que mènent des hommes instruits, ce qui nous inquiète, c’est le marasme de l’esprit dans lequel risque de s’atrophier leur intelligence. Nous ne sommes pas là en présence de vieillards parvenus à l’âge du repos, mais d’hommes jeunes, ayant accepté des postes de début et tout animés du désir de montrer leur valeur. Ils avaient rêvé, en arrivant, de trouver un champ ouvert à leur activité ; ils sont dans l’âge où le caractère et les habitudes se forment, à l’époque de la vie où s’amassent la science et l’expérience qui feront le jurisconsulte. Et cependant ils ne voient venir ni affaires civiles ni affaires correctionnelles ! Si le procureur de la république ne s’absente pas, le nouveau substitut n’aura pas même une audience. Il se débat dans l’inaction contre l’invasion d’une paresse qu’il ne connaissait pas ; s’il n’a pas en lui-même l’énergie de se créer un aliment suffisant, s’il ne possède pas les moyens de faire parvenir en une ville où ne se rencontre aucune ressource les instrumens de travail, il est condamné à se déshabituer du labeur et de l’étude. Que de plaintes nous avons entendues ! quelles amères déceptions chez ces jeunes gens si