Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 43.djvu/417

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’Opéra qu’il vous faut tous les jours pour passer agréablement la soirée. L’Opéra est chose délicieuse, mais on peut rire ailleurs et de tout son cœur. Odry même le sublima Odry, n’est pas indispensable à ma félicité, quoiqu’il y contribua puissamment. Mais, je m’amuse partout. — Partout (entendons-nous) où je ne vois pas la haine, le soupçon, l’injustice et l’aigreur empester l’air que je respire. Si les gens n’étaient pas méchans, je leur passerais bien d’être bêtes mais pour notre malheur ils sont l’un et l’autre, et voilà pourquoi la province est odieuse, il y a un vendu caché partout, et l’on peut dire, d’elle ce que Victor Hugo dit de la prison : Vous cueillez une fleur, et. Elle pique ou elle pue. C’est baroque, mais c’est vrai.

Il me tarde pourtant d’y retourner, car j’ai des enfans que j’aime plus que tout le reste, et sans l’espoir de leur être plus utile un jour avec la plume du scribe qu’avec l’aiguille de la ménagère, je ne les quitterais pas si longtems. Mais je veux, malgré les difficultés sans nombre que je rencontre, faire les premiers pas dans cette carrière épineuse. Je me suis enfin décidée à écrire dans le Figaro, et je suis charmée que vous y soyez abonné, ce sera une manière de causer avec vous, surtout si M. Delatouche a souvent la bonne idée de me faire faire des articles, comme celui de Molinara, article dont le cœur a fait les frais plus que l’esprit. C’est dans son cabinet, à sa table, moitié avec lui, que j’ai écrit cette Idylle dont le bon public parisien (public excellent d’ailleurs et dont le métier est d’être dupe), cherchait le mot avec d’incroyables efforts le lendemain. Vous auriez ri de voir les bons bourgeois du café Conti… (vous connaissez sûrement le café Conti vis-à-vis le Pont Neuf ? , vous y avez déjeuné plus d’une fois, et moi aussi), vous auriez ri (que je dis) si vous les aviez vus, le nez sur le Figaro, et se donnant à tous les diables pour savoir quelle énigme politique leur cachait cette Malinara et ce polisson de moulin.

Il y en avait d’aucuns qui disaient : C’est un emblème ; d’aucuns qui répondaient : C’est un anagramme, et d’aucuns qui reprenaient : C’est un logogriphe. Qui donc est cette meunière ? C’est Delphine Gay ! — Oh ! non c’est la duchesse de Berry. — Bah ! c’est la femme du dey d’Alger. — Dans tous les cas, c’est bien savant, car on n’y comprend goutte.

Moi je riais, non pas dans ma barbe, mais dans ma tabatière, et je leur disais d’un air mystérieux : — Messieurs, je sais de bonne part que c’est la femme du pape. — A quoi ils répondaient : — Pas possible ? — Parole d’honneur !

Vous avez vu, depuis, un grand article intitulé Vision. M. Delatouche l’a trouvé très remarquable et m’a prié en quelque sorte de