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applicables qu’au génie et à la vanité. Je n’ai ni l’un ni l’autre, et j’espère ne connaître aucune de ces tracasseries qu’on croit inévitables. J’ai été invitée chez Kératry et chez Mme Récamier. J’ai eu le bon sens de refuser. Je vais chez Kératry le matin, et nous causons au coin du feu. Je lui ai raconté comme nous avions pleuré en lisant le Dernier des Beaumanoir. Il m’a dit qu’il était plus sensible à ce genre de triomphe qu’aux applaudissemens des salons. C’est un digne homme. J’espère beaucoup de sa protection pour vendre mon petit roman. Je vais paraître dans la Revue de Paris ; j’en ai enfin la certitude, ce sera un pas immense de fait et la seule manière de faire connaître mon nom, que je ne puis vous dire, vu que je ne le sais pas encore.

Voilà où j’en suis. Adieu, mon cher enfant, je vous embrasse de tout mon cœur. J’ai beaucoup de courses et de travail, voilà le seul côté pénible de l’état que j’ai embrassé, mais quand les premiers obstacles seront franchis, je me reposerai.


A Monsieur Jules Boucoiran, à Nohant.


Paris, 4 mars 1831.

Je vous remercie, mon cher enfant, de m’avoir écrit. Je ne vis que de ce qui concerne Maurice, et les nouvelles qui m’arrivent par vous n’en sont que plus douces et plus chères. Aimez-le donc, mon pauvre petit, ne le gâtez pas, et pourtant rendez-le heureux. Vous avez ce qu’il faut pour l’instruire sans le rendre misérable, de la fermeté et de la douceur. Dites-moi qu’il prend ses leçons sans chagrin. Près de lui je sais montrer de la sévérité, mais de loin toutes mes faiblesses de mère se réveillent et la pensée de ses larmes fait couler les miennes. Oh ! oui, je souffre d’être séparée de mes enfans. J’en souffre bien ! Mais il ne s’agit pas de se lamenter ; encore un mois, et je les tiendrai dans mes bras. Jusque-là il faut que je travaille à mon entreprise.

Je suis plus que jamais résolue à suivre la carrière littéraire. Malgré les dégoûts que j’y trouve parfois, malgré les jours de paresse et de fatigue qui viennent interrompre mon travail, malgré la vie plus que modeste que je mène ici, je sens que mon existence est désormais remplie. J’ai un but, une tâche, disons le mot, une passion. Le métier d’écrire en est une violente et presque indestructible ; quand elle s’est emparée d’une pauvre tête, elle ne peut plus s’arrêter. Je n’ai point eu de succès ; mon ouvrage a été trouvé invraisemblable par les gens à qui j’ai demandé conseil. En