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un peu et m’offre son appartement à Paris jusqu’au mois de mars. Pendant ce temps, il restera ici avec sa femme. À cette époque, je reviendrai et je passerai quelque tems à Nohant pour vous y installer, si je ne fais pas avec vous le voyage projeté. Je vais partir pour Paris quand je serai rétablie. Je suis encore très souffrante. Si vous pouvez venir passer une journée à Châteauroux, je vous préviendrai afin que nous puissions nous voir à mon passage en cette ville.

Adieu, mon cher enfant, je suis encore assez faible, mais j’ai assez de tête et de cœur pour sentir vivement ce que vous faites pour moi. Vous aurez beau vous défendre de mes bénédictions avec votre rudesse spartiate, je m’en moque, et je vous poursuivrai jusqu’à la mort de mes remercîmens et de ma tendresse. Prenez-le comme vous voudrez, comme dit mon vieux curé.

Bonsoir, donc, mon cher fils, parlez de moi à votre mère. Dites-lui que je la vénère sans la connaître, ou plutôt que je la connais très bien sans l’avoir vue. Certes, je voudrais qu’elle me connût aussi et qu’elle sût combien son enfant m’est cher.


A Monsieur Charles Duvernet, à Paris.


Nohant, décembre 1830.

ÉPITRE ROMANTIQUE A MES TROIS AMIS.

De même que ces enfans naïfs et déguenillés que l’on voit sur les routes, armés de ces ingénieux paniers que leurs petites mains ont tressés après en avoir ravi les matériaux à l’arbuste flexible qui croît dans ces vignes que l’on voit ceindre les collines verdoyantes de l’Indre, ramassent, pour engraisser le jardin paternel, les immondices nutritives et fécondes, — je ne sais pas précisément si le mot est masculin ou non… je m’en moque, — que les coursiers, les mulets, les bœufs, les vaches, les pourceaux et les ânes, laissent échapper dans leur course vagabonde, comme autant de bienfaits que l’active et ingénieuse civilisation met à profit pour ranimer la santé débile du chou-fleur et la délicate complexion de l’artichaut ; de même que ces hommes patiens et laborieux qu’un sot préjugé essayerait vainement de flétrir, et qui munis de ces réceptacles portatifs qu’on voit également servir à recueillir les dons de Bacchus et les infortunés animaux que l’on trouve parfois égarés et languissans au coin des bornes jusqu’à ce qu’une main cruelle leur donne la mort et les engloutisse à jamais dans la hotte parricide, — ramassent, dans ces torrens fangeux qui se brisent en mugissant dans les égouts de la capitale, divers objets abandonnés à la