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du tout. Néanmoins les gardes nationales s’organisent, et si l’autorité (l’autorité renversée) lutte encore, nous résisterons bien. Dans ce moment, la gendarmerie est la seule force qu’on ait à nous opposer, et c’est si peu de chose contre la masse, qu’elle se tient prudemment en repos. Nous n’avons qu’un danger à courir, celui d’être assaillis par un régiment détaché de Bourges pour nous soumettre, et alors on se battra. Les deux hommes d’ici sont des plus décidés. Casimir est nommé lieutenant de la garde nationale, et cent vingt hommes sont déjà inscrits. Nous attendons avec impatience la direction que nous donnera le gouvernement provisoire. J’ai peur, mais je n’en dis rien, car ce n’est pas pour moi que j’ai peur. En attendant on se réunit, on s’excite mutuellement, lit vous, que ferez-vous ? La famille Bertrand reviendra-t-elle ici bientôt ? l’accompagnez-vous toujours ? Je désire bien vous revoir.

Parlez-moi de notre député. Est-il arrivé sans événement ? Nous l’avons vu partir au plus rude moment et nous frémissions de ce qui pouvait lui arriver. Nous espérons maintenant qu’il a pu entrer sans danger, mais nous sommes impatiens d’en avoir la certitude. Tâchez de le voir et priez-le, s’il a un instant de loisir, de me donner de ses nouvelles. Il est notre héros, et comme notre attachement est son unique salaire, il ne peut pas refuser celui-là.

Adieu, mon cher enfant. Où sont nos paisibles lectures et nos jours de repos ? quand reviendront-ils ? La guerre n’est pas mon élément, mais pour vivre ici-bas, il faut être amphibie. S’il ne fallait que mon sang et mon bien pour servir la liberté ! mais je ne puis pas consentir à voir verser celui des autres, et nous y nageons ! Vous êtes heureux d’être homme, chez vous la colère fait diversion à la douleur.

Merci encore une fois de votre lettre. Ne vous lassez pas de nous donner des détails. Je ne crois pas qu’il ait pu rien arriver à ma mère, mais la pauvre femme a dû avoir bien peur. Voyez-la, je vous en prie ; elle demeure près de vous, n° 6. Ne vous étonnez pas si son accueil est singulier. Elle a l’étrange manie de prendre tous les gens qu’elle ne connaît pas pour des voleurs. Criez-lui, en entrant, que vous venez savoir de ses nouvelles de ma part, et si elle vous reçoit froidement, ne vous en inquiétez pas, c’est moi qui vous saurai gré de ce nouveau service. Adieu ! adieu !


A Madame Dupin, à Charleville.


7 septembre 1830.

J’aurais répondu plus tôt à votre lettre, ma chère petite mère, si je m’eusse été fort malade. On a craint pour moi une fièvre