Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 43.djvu/393

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

taisez-vous sur vos bonnes ou mauvaises fortunes. Ces sots discours sont toujours répétés, et le hazard les fait arriver aux oreilles des personnes de bon sens qui les blâment. Tâchez donc aussi de ne pas faire tant de projets, mais de vous en tenir à l’exécution de quelques-uns. Vous savez que c’est toujours ma querelle avec vous. Je voudrais vous voir plus de constance ; vous dites à Hippolyte que vous avez de la bonne volonté et du courage. Pour du courage physique (celui qui consiste à supporter les maladies et à ne pas craindre la mort), je ne vous refuse pas celui-là ; mais du courage pour un travail soutenu, j’en doute bien, ou vous avez furieusement changé. Tout ce qui est nouveau vous plaît ; mais au bout d’un peu de tems, vous ne voyez que les inconvénients de votre position. Vous n’en trouverez guère, mon pauvre enfant, qui ne soient semées de contrariétés et d’ennuis ; si vous n’apprenez à les supporter, vous ne serez jamais un homme.

Ici finit mon sermon. Je pense que vous en avez assez, surtout n’ayant pas l’habitude de lire ma mauvaise écriture. Vous me ferez plaisir de m’écrire, mais ne vous en faites pas une affaire d’état, ne vous mettez pas à la torture pour me faire -des phrases bien limées. Je n’y tiens pas du tout. On écrit toujours assez bien quand on écrit naturellement et qu’on exprime ce qu’on pense. Les belles pages d’écriture sont bonnes pour les maîtres d’école, et je n’en fais pas le moindre cas. Promettez-moi de prendre un peu de raison et de penser quelquefois à mes sermons ; c’est tout ce que je vous demande. Soyez bien sûr que, si je n’avais pas d’amitié pour vous, je ne prendrais pas la peine de vous en faire. Je craindrais d’ailleurs de vous ennuyer, au lieu que je suis sûre qu’ils ne vous déplairont pas et que vous apprécierez le sentiment qui me les dicte.

Adieu, écrivez-nous souvent et continuez à nous tenir au courant de vos affaires. Soignez votre santé et tâchez de continuer à vous bien porter. Mais si vous vous sentez malade, revenez au pays. Nous aurons encore du lait et du sirop de gomme pour vous, et vous savez que je ne suis pas une mauvaise garde-malade. Tout le monde ici se souvient de vous avec intérêt. Pour moi, je vous donne ma très sainte bénédiction.

AURORE.


A Monsieur Jules Boucoiran, Paris.


31 juillet 1830, 11 heures du soir.

Oui, oui, mon enfant, écrivez-moi. Je vous remercie d’avoir pensé à moi au milieu de ces horreurs. O mon Dieu, que de sang ! que de larmes ! Votre lettre du 28 ne m’est arrivée qu’aujourd’hui 31. Nous attendions des nouvelles avec une anxiété ! Cependant nous savions à peu près tout ce qu’elle contient par mille voies