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l’hôtel sonne le dîner. A peine sommes-nous à nos places que Tristan se précipite comme un torrent dans la salle à manger. Il a la mine maussade et le geste nerveux. Il avale sans mot dire son potage avec une hâte d’affamé, et à la dernière gorgée, il éclate :

— Tu ne me demandes seulement pas ce que j’ai fait de mon après-midi ? Grogne-t-il à mon adresse.

— Eh bien ! comment as-tu passé ton temps ?

— J’ai fait vingt-huit kilomètres dans lande, et j’ai tout vu.

— Alors tu dois être content ?

— Non, il m’est arrivé une aventure qui m’a tout gâté et qui m’a exaspéré contre les gens de ce pays-ci.

— Quoi donc ?

— Je voulais visiter toutes les pierres druidiques sans en manquer une, et, armé de mon Colloque breton, je poussais des questions à tous les paysans… J’ai fini par trouver ce que je cherchais, et j’en ai vu des pierres, je t’assure !… Vers le soir, comme je me reposais, éreinté, près de la pointe de Leïdé, j’ai été tout à coup environné par une bande de gamins, et sais-tu ce qu’il me criaient en chœur ?

— Ils te demandaient des sous ?

— Non, ils criaient en me narguant : « Menhir ! menhir ! » et ils se gaussaient de moi, Les affreux drôles !

J’éclate de rire, et je ne puis me tenir de conter l’histoire à la. Payse, qui la conte à Jemima et à la Suissesse, de sorte que la mésaventure de Tristan fait le tour de la table.

Jemima, me lance un noir regard chargé de reproches. Elle est la seule qui n’ait pas ri.

— Brave fille ! m’a répété Tristan quand nous sommes rentrés chez nous, elle a bon cœur, celle-là. !…, Et vraiment je sens une discrète sympathie d’âme qui me pousse doucement vers elle…


9 septembre.

La maison de notre hôtesse contient une vaste salle de danse qui, ce soir, est occupée par une noce. On se marie beaucoup à Douarnenez, et bien que dans chaque famille les filles soient nombreuses, elles ne coiffent pas trop sainte Catherine. Toutes travaillent. Dès le plus jeune âge, on leur met dans les mains un crochet ou une paire d’aiguilles à tricoter, et on lest voit errer au bord de la mer, la coiffe inclinée, les doigts en mouvement, tout affairées à compter leurs mailles. Vers quinze ans, les plus pauvres entrent dans une friturerie et sont occupées aux conserves de sardines. Des maîtresses filles, ces sardinières ! Alertes, dégourdies, n’ayant froid ni aux yeux ni à la langue, peu timides, et promptes à la