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hurlemens et de coups de tonnerre, nous relevons les yeux vers le ciel, nous apercevons tout là-haut, en plein’ soleil, des taches bleues et roses qui semblent plaquées à la cime du rocher : ce sont les dames que nous avons laissées en arrière et qui nous rappellent avec des gestes effrayés…

L’escalade est moins périlleuse que la descente. Au bout d’un quart d’heure, nous nous retrouvons tous au bord de la baie des Trépassés, à l’extrémité de laquelle nous apercevons l’étang de Laoual, qu’une bande de terre sépare seule de la mer. Tristan, qui donne le bras à Jemima, lui conte de sa voix la plus éloquente la légende de la ville d’Is.

C’est sur l’emplacement de l’étang de Laoual que s’étendait au Ve siècle cette fabuleuse cité, la Sodome de la vieille Armorique. Les pêcheurs qui poussent leurs barques sur cette surface stagnante croient encore en se penchant voir au fond de l’eau des palais en ruine et des tours effondrées. Le roi Gradlon régnait sur la ville, défendue contre l’océan par de hautes digues que fermait une massive écluse dont le roi gardait toujours la clé d’argent pendue à son cou. A la cour de Gradlon brillait sa fille Dahut, aux cheveux, blonds comme l’or. Elle régnait sur les cœurs, comme le roi régnait sur la mer ; mais elle était elle-même gouvernée par les sept péchés capitaux, et ses débauches avaient fini par être un scandale public. Le vieux monarque seul fermait les yeux sur les crimes de son unique enfant. Dahut, poussée par le démon qui habitait en elle, profita du sommeil de Gradlon pour lui enlever la clé d’argent de l’écluse, et une nuit, le roi vit apparaître à son chevet saint Guennolé qui Lui cria ; « Gradlon, hâte-toi de te sauver, car Dahut a ouvert l’écluse et la mer se précipite dans la ville ! » Le bon roi, touché d’un reste d’amour paternel, ne voulut point monter à cheval sans prendre sa fille en croupe, et, changé de ce dangereux fardeau, il s’élança vers les portes de la ville. Au moment où le père et la fille les franchissaient, un long mugissement retentit derrière eux : c’était la grande cité d’Is qui s’abîmait sous les vagues tourbillonnantes. Effaré, le roi galopa toute la nuit, portant toujours en croupe la damnable pécheresse, qui le tenait embrassé. Derrière lui, toujours, les flots galopaient menaçans. Au matin, arrivé près de Douarnenez et constamment pourchassé par la marée écumante, il entendit une voix qui lui criait : « Gradlon, si tu ne veux pas périr, débarrasse-toi du démon que tu portes en croupe ! » Dahut, terrifiée par cette clameur mystérieuse, perdit la tête, ses mains se dénouèrent et elle roula dans les flots, qui s’arrêtèrent immédiatement après l’avoir engloutie. L’endroit où elle tomba s’appelle encore Poul-Dahut (le gouffre de Dahut), d’où on a fait par corruption Poul-Davit.