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Toute sa personne est un livre ouvert et original, où je trouve pour mon compte un plaisir extrême à lire.

Tristan la regarde avec une certaine surprise effarouchée. Son goût et sa timidité l’attirent davantage vers sa voisine de droite, et il prodigue à cette dernière ces menues attentions qui sont permises à table d’hôte, il lui passe les plats, remplit son verre, et tout cela avec un zèle qui touche sans doute la jeune personne, car elle sort de sa réserve et commence à causer avec son voisin. Une fois la glace rompue, Tristan se met en frais d’amabilité. — Rien n’est plus curieux que de voir ce garçon-là flirter avec une femme. Il y va de tout cœur. — Peu à peu il est devenu fondant et a tiré de son sac ses métaphores les plus lyriques. Sa voix a pris des inflexions caressantes et enfantines qu’assaisonne d’une pointe naïve don accent lorrain-allemand. Tout ce manège semble amuser considérablement ma voisine de droite. Elle nous examine d’un air moqueur et lance parfois un mot piquant qui passe comme une flèche à travers les phrases imagées de mon compagnon. A un certain moment, Tristan étant occupé à vanter son pays natal avec un redoublement de lyrisme, elle s’est mise à parler de la Lorraine comme quelqu’un qui la connaît bien, et a cité un proverbe local assez curieux :

Vin du Toulois,
Femmes du Barrois,
Ne valent pas le charroi.


— Madame, me suis-je écrié, vous devez être Meusienne, car les gens du pays connaissent seuls ce dicton peu aimable pour mes compatriotes.

— Effectivement, monsieur, a-t-elle répondu, je suis des environs de Verdun.

C’est une payse, et cela, établit Immédiatement entre nous un commencement d’intimité. La conversation devient plus animée, et, longtemps après le départ des autres dîneurs, nous restons autour de la table desservie, la dame aux yeux verts, Jemima, Tristan et moi, occupés à parler de nos grands prés de la Meuse, de la terre rouge de nos vignes, de nos clos pleins de cerisiers, et à nous rappeler avec bonheur les mots patois qui ont résonné à nos oreilles d’enfant.


3 septembre.

La Pointe du Raz. — Nous avons loué un omnibus, et ce matin nous sommes partis toute une bande pour la pointe du Raz. Jemima