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devant la cathédrale ; le courrier est en retard, et mon ami, croque le marmot depuis une heure.

— Tu as bien perdu, lui dis-je tandis, qu’il s’installe en bougonnant dans l’intérieur ; dès que tu as été parti, j’ai vu un figuier phénoménal et j’ai entendu conter une jolie légende…

— Naturellement, répond-il avec humeur, il suffit que je m’en aille pour que tu découvres des merveilles ! .. Tu me rappelles le hâbleur de la fable :

J’ai vu, dit-il, un chou grand comme une maison…


Et, tu sais, je ne crois pas à ton figuier !

J’en appelle au maître d’école, et celui-ci se tourne cérémonieusement vers mon compagnon :

— Assurément, commence-t-il, monsieur a raison… Roscoff, bon petit pays, bonnes gens et belles terres ! .. Voilà quatre ans que je l’habite, monsieur, et je vais à Quimper avec avancement… Pourtant je quitte Roscoff à regret, monsieur… à regret !

Mais Tristan ne l’entend pas, il s’est enfoncé dans son coin et il s’y endort profondément.


31 août.

Le train traverse avec un redoublement de tapage la sonore épaisseur de la forêt de Crannou ; les branches des hêtres et des chênes centenaires viennent presque frôler les portières du wagon. A droite, le regard s’enfonce dans des entonnoirs de verdure, parmi de fraîches coulées qui dévalent le long de la montagne et se noient dans une buée mystérieuse. Une pénétrante odeur de bois nous arrive, et tandis que le convoi roule comme un torrent, l’œil saisit au vol par-ci par-là un détail de nature forestière : une pierre druidique moussue, un campement de charbonniers, un lièvre matineux qui détale au fond d’une tranchée…

— Où, me mènes-tu ? demande Tristan à demi ensommeillé.,

— A la pointe du Finistère, à Douarnenez.

— J’ai grand’peur que ce ne soit encore un four, dans le genre de Roscoff.

— Nenni ! je connais le pays et je puis t’affirmer qu’il est beau. Tiens, regarde ! tu peux avoir un avant-goût de la grandeur et de l’originalité des sites.

Nous sommes sortis de la forêt. Le train court maintenant à la crête d’une montagne, au milieu d’une lande semée de roches grises. De cette hauteur, on aperçoit, comme à vol d’oiseau, les découpures de la rade de Brest, la mer scintillante au soleil,