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— Hé ! hé ! un chien a du bon, fais-je ironiquement, et puis c’est plus économique….

Le sifflet de la locomotive interrompt notre entretien. Nous arrivons à Morlaix. Du haut du viaduc, nous apercevons, à soixante mètres au-dessous de nous, les files de maisons grises, aux fenêtres encadrées d’un badigeon blanc, et, aux toits d’ardoise zébrés de bandes blanches. Ce costume mi-parti donne à l’ensemble des habitations un aspect grivelé très curieux. Des jardins en terrasses dévalent de ci et de la jusqu’au fond de la vallée, où la rivière s’étale entre deux quais de granit. Des bâtimens aux vergues pavoisées, — c’est aujourd’hui dimanche, — mirent leur mâture dans l’eau tranquille du port ; derrière les magasins des quais, des collines boisées dressent leurs escarpemens verdoyans. Le soleil projette sur la place et sur les rues l’ombre énorme des arches du viaduc ; des tours et des flèches d’église surgissent dans les fumées matinales. — Nous descendons du train, et en dix minutes nous sommes au cœur de la ville.

Deux cours d’eau la traversent et se réunissent au-delà du viaduc pour former la rivière de Morlaix. Ces eaux noires et lentes, emprisonnées entre d’antiques façades qui y trempent leurs assises verdies, donnent aux quartiers bas une physionomie de ville néerlandaise. L’illusion est complète lorsqu’on pénètre dans la grand-rue, qui s’est conservée telle qu’elle devait être au XVe siècle. Les maisons, en bois, à lanterne et à pignon, penchent l’une vers l’autre leurs étages surplombans, ornés de statues de saints à chaque angle extérieur. Au rez-de-chaussée s’ouvre, bas et cintré, l’étal des boutiques qui occupent toute la profondeur du bâtiment, et sont éclairées par une fenêtre découpée dans la façade du fond. Par l’ouverture de l’étal, l’œil plonge dans ces magasins encombrés de marchandises variées et où s’agitent les silhouettes des acheteurs et des vendeurs. Une lumière égale et froide baigne la longue pièce et contraste avec l’obscurité relative de la rue. Des paysannes déplient des étoffes ; un garçon en veste noire, coiffé du chapeau à larges bords, cause du dehors avec une fillette accoudée au rebord de l’étal, à côté d’un pot de géraniums rouges. — Un peu plus loin, une petite servante au costume monastique est agenouillée sur les marches d’un vieux logis, dont on aperçoit la cour intérieure curieusement revêtue de boiseries sculptées. La petite fourbit un chaudron de cuivre jaune en chantant un cantique breton, et son vêtement taillé à l’antique, le calme de son regard indifférent, la lenteur de son chant, vous font glisser doucement dans le rêve d’une vie antérieure, aux temps lointains de la duchesse Anne ou de Marie Stuart…

Une grande placidité, quelque chose de distingué et d’austère