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partisans aujourd’hui si nombreux des doctrines de l’atavisme pourraient lire ces pages avec intérêt, ne fût-ce que pour vérifier leurs théories sur l’évolution physiologique des penchans et des aptitudes par la transmission héréditaire, car à la véhémence de ces réfutations, à la soudaineté de ces bonds éloquens par lesquels son indignation s’abat sur les détracteurs de son père, à la joie impitoyable avec laquelle elle les lacère de son ironie, on reconnaît aisément la fille d’un lion. Les effets de cette musique du sang dont parle Calderon sont là sensibles en toute évidence. Par cette publication, Mme la marquise de Blocqueville a donné une preuve nouvelle et très frappante de cette vieille vérité que les époques sceptiques aiment trop volontiers à nier : c’est que les inspirations du cœur sont les meilleures et de beaucoup. Peut-être, avant de commencer cette entreprise, a-t-elle rencontré plus d’une résistance, peut-être a-t-elle eu à lutter contre les défiances de ses amis, contre les craintes légitimes de ses proches, mais, fermant l’oreille à tous les conseils, elle n’a voulu prendre avis que des mouvemens de sa piété filiale, et finalement il s’est trouvé qu’elle avait eu raison. Cette tâche, qu’on lui faisait entrevoir si lourde, elle l’a soulevée à son plus grand honneur, et sa piété filiale agissant en elle, comme, selon le dogme chrétien, la grâce agit dans les âmes qui gardent confiance, ses forces, au lieu de diminuer, se sont accrues à mesure qu’elle avançait, ainsi qu’en témoignent ces deux derniers volumes, qui sont de beaucoup supérieurs aux premiers. Cette publication est pour elle une véritable victoire, car elle y a réalise ce qu’elle avait voulu faire, une apologie toute nouvelle de la nature morale de son père. Il y a quelque vingt années, Edgar Quinet, ayant eu occasion d’échanger à propos de la publication de son Histoire de 1815 une correspondance avec Mme la marquise de Blocqueville, l’engageait vivement à entreprendre une biographie du maréchal Davout. « Personne plus que vous, madame, lui disait-il, n’a qualité pour une telle œuvre. Vous assouplirez le bronze… » Eh bien ! cette espérance de l’auteur d’Ahasvérus a, on peut le dire, trouvé satisfaction. Le bronze a été réellement assoupli par les soins de la fille du maréchal, car, par cette publication, le sévère et opiniâtre homme d’action que l’on connaissait depuis longtemps se trouve désormais inséparablement associé à un homme moral bon, généreux, humain, aimant, qu’il ne sera plus permis d’ignorer maintenant. Davout n’appartient plus seulement à la catégorie des hommes qui sont la gloire de notre nature, il appartient à la catégorie bien plus rare de ceux qui en sont l’honneur, et cette couronne morale, c’est bien la main de sa fille qui l’a tressée et déposée sur son front, d’où elle ne sera plus enlevée.


ÉMILE MONTÉGUT.