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l’empereur et au domaine public Enfin, par sa nature même, cette opulence des grands dignitaires de l’empire était extrêmement précaire, étant fondée sur des dotations qui n’étoient pas destinées à survivre au régime napoléonien. Certainement Davout avait à plusieurs reprises reçu de magnifiques dotations ; cependant, tous comptes faits, on trouve qu’il n’a pas été opulent plus de trois ou quatre années. Sa très grande fortune, en effet date des années 1807 et 1809. Or, dès 1812, ses revenus fléchissent ; en 1813, la guerre étant transportée dans les pays allemands, ils sont presque nuls ; en 1814, tout disparaît à la fois, dotations de Pologne, dotations d’Allemagne, salines de Nauheim, etc. Restaient les dotations d’Italie : en 1815, elles disparaissent à leur tour. Il faut ajouter que, pendant tout le temps qu’avait duré cette opulence passagère, Davout, avec une générosité sans calcul, en avait profité non-seulement pour en faire bénéficier ceux qui l’entouraient ou lui tenaient de près, mais pour se créer des obligations de bienfaisance de diverse nature. La chute de l’empire, en tarissant la source de ses revenus le laissait dans un état de crise financière qui, sans avoir de gravité sérieuse, n’en était pas moins momentanément fort aiguë et l’obligeait à des privations de tout genre. Plus d’un de nos lecteurs peut-être aura pu connaître par expérience combien sont délicates et difficiles, au point de vue financier, les transitions d’un certain état d’existence à un autre état ; c’est dans une de ces transitions nécessaires que Davout se trouvait engagé lorsque l’exil de Louviers vint le surprendre. Parmi les soucis que lui créait cet exil, il faut compter, — qui le croirait ? — les nécessités de la double dépense de logement auquel l’obligeait sa séparation d’avec la maréchale. Obligée de liquider le passé, la princesse d’Eckmühl est forcée de louer son hôtel pour se créer des ressources, et l’on trouve dans sa correspondance de cette époque des détails comme celui-ci : « J’oubliais de te dire que je viens de vendre seize douzaines d’assiettes d’argent à 54 francs le marc. » Une lettre écrite de Louviers en avril 1816, — on voit que ses embarras de finances durèrent de longs mois, — va nous montrer à quelles préoccupations d’économie cette situation le réduisait.


Je désire vivement que les espérances que Julie te donne se réalisent. Si ma situation actuelle se prolongeait, elle ajouterait beaucoup à nos embarras de fortune, car, avec quelque économie que nous subsistions ici, ce sont des dépenses en plus : le loyer de la maison et notre nourriture, voilà ce que nous économiserions à Savigny. Je reconnais chaque jour que, pour laisser un peu de pain à nos enfans, il faut que nous nous abonnions aux plus grandes privations ; avec le peu que nous avons, nous leur transmettrons l’honneur et le désintéressement.