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moyens. Puisque les généraux des armées alliées refusaient de faire la distinction que demandait Davout, il était bien permis de penser que c’était à l’indépendance même de la nation qu’ils en voulaient, et alors cette question se posait naturellement : ne vaut-il pas mieux courir les chances d’arracher par de nouveaux combats une paix honorable que d’attendre passivement celle qu’il plaira aux alliés de nous imposer ? C’était le sentiment d’une partie de l’armée, et quoique Davout fût trop sagace pour ne pas savoir que le sort de la France ne tenait pas désormais à une bataille gagnée de plus ou de moins, je crois fermement qu’il la partagea un moment. Comment donc se fait-il qu’il ait été précisément accusé de n’avoir pas voulu livrer bataille pour défendre Paris contre l’entrée des alliés ? C’est qu’il se trouvait dans une situation difficile dont les complexités embarrassaient sa nature peu flexible bien mieux que toutes les finesses de Fouché. Hier, ministre de Napoléon, aujourd’hui résigné par raison aux Bourbons, il se trouvait au confluent de deux partis dont il ne voulait servir ni les espérances ni les craintes. La partie ardente du camp bonapartiste désirait la continuation des hostilités beaucoup dans l’espérance qu’une bataille gagnée aurait chance de faire accepter par les alliés le fils de Napoléon et de rendre l’opinion moins favorable au rétablissement des Bourbons ; le parti royaliste la redoutait parce qu’il prévoyait que toute nouvelle défaite se traduirait dans l’opinion vulgaire par un accroissement d’impopularité pour la dynastie restaurée. Il était assez difficile défaire comprendre aux premiers que, s’il fallait continuer les hostilités, ce ne pouvait être que par point d’honneur patriotique et pour que la France restât maîtresse d’elle-même, aux seconds qu’une bataille gagnée aurait pour les Bourbons ces inappréciables avantages de ne pas associer leur restauration à une défaite, de ne pas aliéner l’armée, de permettre au roi de traiter directement de la paix avec les alliés et d’entrer dans Paris sans escorte étrangère. D’ailleurs Davout était attaché, d’une part, par des liens trop nombreux au parti vaincu pour rompre ouvertement en visière avec lui et pour blesser des regrets qu’il partageait plus que probablement ; d’autre part, il était trop suspect au parti royaliste pour espérer d’avoir assez d’action sur lui pour l’amener à partager cette politique patriotique que nous avons résumée dans les lignes précédentes. Dans cette position difficile et se sentant pour ainsi dire isolé dans ses opinions, il se renferma d’abord dans le silence qui lui était habituel, mais les circonstances ne lui permirent pas de s’y tenir longtemps, et quand il le rompit, ce fut pour se déclarer ouvertement favorable à la continuation de la lutte.

Il y a une vingtaine d’années, vivait encore M. Clément, député