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tentative de meurtre. Les documens postérieurs à Waterloo ont un intérêt pks véritable, et dans le nombre il en est un d’une importance considérable qui nous invite à nous arrêter sur le rôle du prince d’Eckmühl pendant les jours troublés qui séparèrent l’empire de la seconde restauration.

Nous savons par nos tristes expériences contemporaines ce qui se passe dans ces momens de crise où les nations sont comme sous un nuage. Comme dans ces momens la rapidité des événemens crée la nuit dans les intelligences, que ce qu’on avait cru vrai la veille se trouve faux le lendemain, que l’appui sur lequel on comptait il y a une heure se trouve à l’heure suivante ne plus exister, les passions, surexcitées par le danger qui les presse et affolées par l’incertitude, vont tâtonnant avec violence dans les ténèbres, cherchant à quoi se soutenir et qui accuser. De là ce feu croisé d’invectives, de délations, de récriminations, d’injures, de calomnies, de superstitions et de sottises, qui toutes ont trouvé sur le moment des crédules, des adhérens et des dupes, mais qui à distance font à celui qui pèse froidement les circonstances de cette crise, devenue de l’histoire, l’effet de cette fonte des paroles gelées qui émerveilla si grandement Pantagruel et ses compagnons. La conduite du prince d’Eckmühl, à cette époque, a été très diversement jugée, et toujours passionnément, soit par les royalistes, qui lui trouvaient trop peu d’empressement à marcher au-devant des Bourbons, soit par les bonapartistes, qui l’accusaient d’ingratitude envers Napoléon et reprochaient à sa fidélité de n’avoir pas survécu à l’abdication. La conduite du prince d’Eckmühl fut, à notre avis, cependant fort claire, et nous allons tâcher de l’expliquer en quelques mots telle qu’elle nous apparaît.

Il y a deux phases à cette conduite, la phase d’avant l’abdication et la phase d’après ; mais, dans l’une comme dans l’autre, Davout n’a voulu qu’une même chose sous deux formes diverses : sauvegarder l’indépendance nationale de manière que la France restât maîtresse de ses destinées et que la défaite de ses armes ne fût pas un prétexte pour lui imposer celles même qui pouvaient lui être le plus bienfaisantes et que le cours des événemens indiquait en toute évidence. Après Waterloo, et dès que Napoléon fut de retour, Davout s’empressa de se rendre auprès de lui ; il le trouva au bain, fort abattu, et roulant déjà des pensées d’abdication. Avec la décision qui était dans sa nature, Davout lui conseilla de prendre hardiment parti sur l’heure, de casser les chambres et de résumer en lui seul pour un temps le gouvernement de la France. Le conseil assurément n’était pas conforme à l’orthodoxie constitutionnelle, mais la question est de savoir si ce moyen peu parlementaire n’était pas le seul qui répondît aux nécessités de l’heure présente. Si la