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Comme il revenait en France, une lettre de sa femme l’atteignit en route et lui porta de fâcheuses nouvelles. « Comme j’allais fermer cette lettre, hier on est venu me dire qu’un aide de camp du ministre de la guerre avait une lettre à me remettre… Quelle a été ma surprise en reconnaissant que cette lettre t’était destinée et qu’elle renfermait l’invitation de quitter Paris, où l’on te croyait, pendant que tu serais appelé à te justifier des griefs portés contre toi ? Le premier est d’avoir fait tirer sur le drapeau blanc, le second de t’être emparé de la banque, et enfin d’avoir commis des actes arbitraires qui tendaient à rendre le nom français odieux. Il est pénible de se devoir défendre pour avoir fait ce que tout homme possédé du génie militaire eût fait à ta place. Tu trouveras un grand mécompte entre ce que l’on eût dû accorder à ta conduite et la manière dont on l’envisage ; mais, mon Louis, mon unique bien, cette injustice te met à même de montrer l’homme vertueux dans tout son éclat ; jusqu’ici, l’on ne connaissait que tes vertus militaires, dont la nature est d’être accompagnées d’infiniment de rigueur. » On sait comment Davout, pour répondre à ces accusations, écrivit alors son Mémoire justificatif adressé au roi Louis XVIII. Il n’eut pas de peine à établir que, s’il avait fait tirer sur le drapeau blanc, ce n’était point par pensée d’outrage, mais parce que Beningsen, contrairement aux conventions arrêtées, avait fait avancer ce drapeau pour s’emparer de positions que ces mêmes conventions lui refusaient. Pour les autres mesures, il se couvrit, comme nous l’avons dit, des lois de la guerre et surtout des ordres de Napoléon ; mais avec une loyauté que l’on ne saurait trop admirer, il ne cita de ces ordres que les parties les plus avouables et qui pouvaient le moins soulever la réprobation contre l’homme que les passions du temps n’appelaient plus que l’ogre de Corse[1]. Ce mémoire, peu répandu à l’origine, supprimé en 1815 par Napoléon, est aujourd’hui connu de peu de personnes ; en le réimprimant dans la présente publication, la fille de Davout a rendu en plus d’un sens un véritable service à la mémoire de son père. A ne prendre cette pièce qu’au point de vue littéraire, elle mériterait encore d’être lue. Remarquable par la clarté du style, l’ordonnance des faits, la déduction aisément logique des raisonnemens, ce mémoire est le morceau capital de la plume de Davout, et le seul certainement qu’il ait écrit en toute sa carrière à tête reposée.

C’est ici l’occasion de dire un mot du style propre à Davout. Ce style est à la fois excellent et incorrect. Le maréchal n’était pas un

  1. « Avouez, Davout, lui dit Napoléon la première fois qu’il le revit en 1815, que ma lettre a bien servi à votre justification. — Il est vrai, sire, répondit Davout, mais si j’avais aujourd’hui à écrire ce mémoire, je donnerais la lettre entière. »