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France, sans espoir de réparer ses pertes, presque à la merci d’une population hostile, que la moindre étincelle peut enflammer et la moindre faiblesse dans le commandement enhardir jusqu’à l’insurrection. Sans perdre une heure, Davout se met à l’œuvre et fait en quelques jours une ville imprenable d’une ville en mauvais état de défense. Ces fortifications provisoires, recommandées par l’empereur, il les complète sous le feu même de l’ennemi. On fait des travaux de défense avec les matières les plus étranges, avec des branches d’osier et de la terre, avec le fumier des casernes, avec de la neige arrosée d’eau, qu’une nuit de froid transforme en remparts de glace. Pour se mettre à l’abri des surprises, Davout ordonne un abatis impitoyable des immeubles situés sur les glacis et des maisons de campagne des environs, puis, le pays ainsi découvert de manière qu’aucun mouvement ne puisse s’y faire sans qu’il l’aperçoive, il prend ses précautions contre l’ennemi de l’intérieur. Dans l’isolement où il est, qu’une attaque extérieure réussisse un instant, et des vêpres hambourgeoises sont à craindre ; pour se rassurer contre cet accident possible, il fait sortir d’un coup vingt-cinq mille habitans et les jette sur Altona et autres localités. Il ordonne aux habitans restant de s’approvisionner de vivres pour six mois, prend des mesures analogues pour son armée et se précautionne ainsi contre la famine, qui a livré plus de places de guerre que le sort malheureux des armes. L’ennemi cependant multiplie ses attaques ; quoique toujours repoussé, il devient de plus en plus pressant, et bientôt il arrive à séparer Davout du corps allié des Danois, qui, de son côté, est obligé de s’enfermer dans Gluckstadt ; mais cet accident n’est point pour affaiblir la constance du chef, et il tient avec plus de ténacité que jamais. Le territoire défendu se rétrécit insensiblement ; Davout ne bronche pas. Les nouvelles de France n’arrivent plus jusqu’à lui, mais l’ennemi qui les sait mauvaises s’en enhardit pour menacer et provoquera la révolte ; Davout n’en trahit pas la moindre alarme. Enfin l’empire s’est écroulé, et Davout, qui tient Hambourg pour le compte de Napoléon, est encore debout plusieurs semaines après la chute de son maître, il serait debout six mois encore, si les événemens le demandaient. Le 11 mai 1814, il sort de cette place, qu’il n’a pas rendue, en y laissant, sous le commandement du général Gérard, une armée de quarante-deux mille hommes, qu’il a trouvé moyen de préserver contre l’hiver, la famine et la maladie. Hambourg est la troisième grande page de l’histoire militaire de Davout ; elle est digne des deux premières, elle leur est peut-être supérieure en ce sens que Davout y eut occasion de montrer ses qualités avec un ensemble que ne lui avaient permis ni Auerstaedt, ni Eckmühl, où il n’avait eu à les déployer que dans leurs parties les plus brillantes.