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tristesse altière qui en fait comme une préface jusqu’aujourd’hui inédite de son Histoire de la campagne de 1812.


Monsieur le maréchal,

Puis-je espérer que vous ne me trouverez pas indiscret si j’ose vous prier de me faire donner quelques notes sur les opérations de votre armée pendant la guerre de Russie de 1812 ? J’ai été assez heureux pour réunir les matériaux nécessaires pour écrire l’histoire morale et militaire de cette campagne. Plusieurs anecdotes importantes et secrètes jusqu’ici, et dont quelques-unes vous regardent, sont parvenues à ma connaissance, soit alors, soit depuis, ce qui vous étonnera peu, ayant été et étant lié d’amitié avec tous ceux qui composaient l’intérieur du cabinet. J’ose espérer, monseigneur, que vous croirez bien que je ne veux faire de ces matériaux qu’un noble et digne usage. C’est pourquoi je me suis déterminé à vous prier d’être assez bon pour dicter quelques notes sur cette époque et d’avoir la bonté de me les envoyer. J’aurais été moi-même vous faire cette prière si j’avais cru ne pas vous déranger. J’aurais été soumettre à votre jugement quelques chapitres d’un livre qui sera très peu volumineux et qui, tout en reconnaissant nos fautes, nous placera à la hauteur qui nous convient et d’où nous devons mépriser les attaques de gens dont tous les sens, tous les sentimens, sont trop faibles, les habitudes trop circonscrites et les idées trop petites pour qu’ils puissent nous juger. Pardonnez-moi, monsieur le maréchal, l’indiscrétion de ma prière. S’il m’était possible de vous lire le commencement de cet ouvrage, peut-être trouveriez-vous qu’il mérite que vous veuillez bien vous y intéresser.

Aurez-vous la bonté de me rappeler au souvenir de Mme la princesse d’Eckmühl et d’agréer l’expression du respect avec lequel j’ai l’honneur d’être votre obéissant serviteur ?

Le général comte de SEGUR.


On voit par cette lettre, écrite par parenthèse avec l’incorrection propre à Ségur, incorrection qui a été impuissante à détruire le mérite de son livre, tant ce mérite est réel, en quelle estime l’historien tenait le jugement de Davout et quel désir il avait de son approbation. Elle suffit, ce nous semble, pour répondre à quelques reproches d’injustice à l’égard de son père que lui adresse Mme la marquise de Blocqueville. Ce qui nous frappe, au contraire, dans l’Histoire de la campagne de 1812, c’est combien ce livre est favorable à Davout. On sent que, dans son opinion, ce maréchal est après Napoléon le personnage principal de l’expédition et qu’il pense que l’insuccès en doit être attribué en grande partie à cette rancune voilée qui lui refusa la première place dans la direction de la guerre.