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confiance. » Et ailleurs encore : « Des individus rentrés en France à la suite de Napoléon, par suite de cet esprit de dénigrement que l’envie commande et que la légèreté et l’irréflexion adoptent volontiers, faisaient courir à Paris des bruits inquiétans et mensongers sur l’impression que les malheurs, les chagrins et le froid avaient produits dans son organisation. » Une de ces calomnies, due sans doute à quelque facétieux qui devait goûter le vaudeville et le jeu de Brunet, était vraiment assez plaisante. Le maréchal, racontait-on, avait été pris de telle folie pendant la retraite qu’il pinçait le nez de ses aides de camp. Il n’y avait jamais eu de nez pincé cependant que celui du maréchal, et cela par ce même César de Laville dont nous venons de citer la relation. Un jour qu’ils causaient ensemble pendant la retraite, César de Laville, s’apercevant que le nez du maréchal gelait, lui avait sans avertissement préalable infligé une friction de neige, service que Davout, surpris et croyant à une brusque attaque, avait récompensé d’abord d’un vigoureux coup de poing. Mme la marquise de Blocqueville, qui nous donne cette rectification vraisemblable, s’étonne de l’effronterie des calomniateurs à l’égard du maréchal. L’imparfaite nature humaine étant donnée, rien n’est cependant plus explicable. Des scènes comme celles de Marienbourg et de Gumbinnen ne sont pas sans laisser des rancunes chez ceux qui les subissent, et ceux-là, quand ils s’appellent Murat et Berthier, ne manquent pas de complaisans, de flatteurs et d’instrumens pour servir leurs haines. Quant à la forme de la calomnie qui fut employée contre le maréchal, elle est celle que tout homme d’expérience avouera avoir vu invariablement employer lorsque la victime était d’humeur violente. Commettez l’imprudence d’éclater, fût-ce par le plus juste motif, et vous serez déclaré fou tandis que vous ne serez qu’indigné, et c’est là ce qui en toute évidence était arrivé à Davout.

Cette accusation de folie n’était à tout prendre que l’exagération mensongère d’un fait certain, c’est que les souffrances morales qu’il avait éprouvées pendant la campagne, jointes à de trop nombreuses causes de mécontentement, avaient eu la puissance de tirer pour la première fois le maréchal de son sang-froid, jusqu’alors imperturbable. C’est ici l’occasion de faire remarquer qu’il n’y a rien de plus délicat que de se prononcer sur de tels états d’âme et de trouver le mot juste qui peut leur convenir. Mme de Blocqueville n’admet pas qu’on dise de son père qu’il fut abattu par les événemens. Soit ; nous croyons en effet volontiers qu’il fut plutôt exaspéré qu’abattu, bien que ce dernier mot soit celui dont se sert Ségur ; cependant les documens qu’elle produit, la lettre de Thorn que nous avons citée par exemple, ne témoignent-ils pas de sentimens qui vont plus loin même que l’abattement ? Qu’importe