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Evénemens qui le concernent directement, Davout n’en informe la maréchale que lorsqu’il n’y a plus à les révéler aucun inconvénient pour la tranquillité de sa chère correspondante. Voici un bien noble exemple de cette discrétion par tendresse. Après la bataille de la Moskowa, il écrit à sa femme : « J’ai été aussi heureux qu’à Eylau ; j’ai eu un cheval tué et deux contusions insignifiantes. » Ces deux contusions étaient cependant deux blessures graves ; mais la maréchale les aurait probablement ignorées jusqu’à la fin de la campagne sans un incident qui se présenta peu après et où le point d’honneur militaire propre à Davout se montra dans toute sa sévérité. Un officier appartenant à sa famille ayant demandé à quitter son poste sous prétexte de santé, le maréchal écrivit à sa femme pour lui recommander de ne pas le recevoir, et se trouva amené à lui révéler la vérité pour qu’elle ne pût se méprendre sur les raisons de cette apparente dureté.


Un officier qui abandonne son poste en prétextant une indisposition ou une légère blessure n’a aucune idée de l’honneur ni de l’amour de ses devoirs. Je traite fort mal tous ceux de cette espèce ; juge de ce que je dois éprouver de sentimens et d’idées pénibles. Je ne l’eusse jamais cru capable d’oublier ce qu’il se devait jusqu’à ce point…

J’ai été mis hors de combat à la bataille du 7 septembre par deux blessures : une au bas-ventre, — une contusion de boulet, — et l’autre à la cuisse droite par un biscaïen : elles ont été assez fortes pour m’empêcher de trotter ; mais je me serais regardé comme un bien mauvais serviteur de l’empereur et un homme sans cœur si j’eusse quitté le champ de bataille, et j’y suis resté pour prêcher d’exemple, et inspirée la plus grande fermeté aux troupes. Je t’ai laissé ignorer ces détails, mon Aimée, pour t’éviter des inquiétudes ; c’est la circonstance qui m’a mis dans le cas de t’en parler, et aussi parce que je suis guéri. Je n’ai pas cessé de commander et j’ai toujours suivi le corps, d’armée en wurst. J’ai éprouvé beaucoup de douleurs jusqu’à notre entrée, à Moscou ; mais là, ayant pu prendre des bains et du repos, me soigner, l’inflammation s’est dissipée au bout de quarante-huit heures. Les escarres sont tombées, la suppuration s’est bien établie, et maintenant les deux plaies se cicatrisent : dans deux ou trois jours je pourrai monter à cheval comme auparavant. Je marche, je vais en voiture sans éprouver la plus légère douleur. Je jure, par mon aimée, par nos enfans, que je te dis toute la vérité : ainsi, ces détails ne peuvent que te donner une nouvelle confiance dans ma bonne fortune. C’est dès le commencement de la bataille que j’ai reçu la première blessure et, une heure après, l’autre. Elles ne m’ont pas empêché de rester jusqu’à la fin : j’ai donc le droit de trouver mauvais un manque de fermeté.