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montrer faciles, coulans, à s’abstenir de toute violence, auquel cas ils leur promettent mille petites douceurs ; bref ils les conjurent de laisser remettre leurs droits en question et en arbitrage. — Que nous parlez-vous d’arbitrage ? répondent les Grecs. Vous êtes des juges trop sérieux pour vous de juger si vite. Vous avez rendu votre sentence, nous la tenons pour bonne, nous l’approuvons de tout point, et ce n’est pas nous qui en appellerons. — Que de paroles, que d’éloquence ne faudra-t-il pas dépenser pour réduire ces esprits réfractaires ! Ce n’est pas qu’ils s’abusent sur leurs forces ; ils savent très bien que s’ils doivent vider leur différend seuls à seuls avec les Turcs, la partie ne sera pas égale ; mais ils sont fermement persuadés qu’au milieu des hasards qu’ils s’apprêtent à courir, ils trouveront des défenseurs et d’officieux patrons.

Les Grecs sont les Gascons de l’Orient ; ils en ont la belle humeur, le joyeux courage, l’esprit d’entreprise, les goûts aventureux et libres, les entraînemens mêlés aux calculs, la hâblerie toujours opportune, que justifie leur audace. Il sera difficile de les arrêter. En vain l’Europe leur répète que si, au mépris de ses conseils, ils commettent quelque imprudence et s’attirent des désastres, elle s’en lave les mains. Ils n’ont garde de l’en croire ; ils considèrent qu’en leur promettant Janina, elle s’est engagée d’honneur à les secourir et qu’elle ne laissera pas sa parole en souffrance. Il y avait une fois un Gascon qui s’appelait Huon de Bordeaux. Il rencontra un jour le roi des génies, lequel lui fit présent d’un cor d’ivoire et lui promit de venir à son aide quand il en sonnerait dans quelque pressant péril. Tout en lui donnant son cor, Oberon, qui connaissait l’humeur hasardeuse du personnage, lui recommanda la prudence, ajoutant que s’il s’avisait de chercher étourdiment le danger, il aurait tort de compter sur lui. Il lui interdit surtout de s’attaquer à un géant formidable qu’on avait surnommé l’Orgueilleux et que gardaient dans son château deux hommes de cuivre armés chacun d’un fléau en fer. — Fort bien ! répondit Huon, j’y vais de ce pas ; si malencontre m’arrive, je cornerai et vous me tirerez d’affaire. — Par Dieu ! je n’en ferai rien, dit Oberon ; ne vous y fiez pas, vous pourriez corner inutilement. — Sire, reprit Huon, ne vous fâchez point, car je sais ce que j’en dois penser. — Voilà l’histoire de la Grèce et de la diplomatie. M. Coumoundouros voit pendre sur sa poitrine le cor d’ivoire magique à la voix duquel Oberon ne peut résister ; quoi qu’on puisse lui dire, il se persuade qu’il n’aura besoin que d’en sonner et que l’Europe ne manquera pas d’accourir.


G. VALBERT.