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monarchique qui lui convenait, disait Gentz, « comme un coup de poing convient à l’œil qui le reçoit. »

Qu’ils eussent un roi ou qu’ils n’en eussent point, il fallait octroyer aux Grecs la liberté municipale ; comme leurs pères, c’est celle qu’ils prisent le plus et dont ils savent le mieux se servir, On leur donna un souverain qui nommait à tous les emplois, qui dépensait toutes les grâces. Plus tard, quand le régime parlementaire vint se greffer sur cette lourde monarchie bavaroise, le mal s’aggrava. Il n’y a point de partis à Athènes, on n’y trouve que des coteries ou des cliques, et chacune de ces cliques a son chef, qui ne devient président du conseil qu’à la faveur de combinaisons clandestines, d’intrigues occultes, et qui ne se maintient au pouvoir qu’en partageant le gâteau à ses adhérens ; à chaque changement ministériel, du haut en bas, tout le personnel des fonctionnaires est renouvelé. Les politiciens ont fait leur proie du petit royaume, où tout languit, hormis leur ambition. C’est un moulin qui ne produit guère de farine ; il ne s’y moud que du sable, et ce sable contient peu d’or. Les politiciens d’Athènes voient dans les annexions qu’ils rêvent un moyen de fortifier leur situation, d’accroître le nombre de leurs partisans et de leurs créatures ; ils auront plus de fermes, plus de métairies à distribuer ; reste à savoir si ce jeu plaira aux annexés. Un ami très zélé de la Grèce, qui habite l’Orient, affirmait dernièrement dans une revue anglaise qu’avant d’agrandir son territoire, le petit royaume doit s’occuper d’abord de réformer son gouvernement, qu’il y a plus de libertés municipales en Turquie que dans la Morée, que si les annexions se font, il faudra garantir aux nouvelles provinces leur autonomie administrative, qu’autrement les Thessaliens seraient fort malheureux de tomber sous le joug d’Athènes, que les Crétois jouissent de précieux avantages qu’ils ne sont pas prêts à sacrifier, que si M. Coumoundouros s’avisait de faire conduire leur ménage par ses nomarques et ses éparques, il y aurait une révolution au bout de deux ans. A l’appui de sa thèse, il cite ce mot d’un Crétois : « Ou nous ne serons pas Grecs, ou c’est la Grèce qui nous sera annexée[1]. »

Prokesch, qui considérait le philhellénisme comme une des formes les plus dangereuses de la philanthropie, se plaignait que les peuples fussent d’éternels enfans, toujours amoureux de changemens et de spectacles ; ils vivent par les yeux, et les yeux sont toujours jeunes. Il est certain qu’en 1827 les Grecs n’intéressaient pas seulement la galerie par leurs malheurs et leur héroïsme, on leur savait gré de faire, en s’insurgeant, diversion à l’ennui qui pesait alors sur l’Europe ; c’était une aventure, et on avait soif d’aventures. Si Prokesch vivait encore,

  1. Greece and Greeks, by W » J. Stillman, dans la livraison du 1er novembre 1886 de la Fortnighthy Review.