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soumises, on n’eût pas approché à cinquante lieues, tant il inspirait une sainte terreur aux bandits et aux espions.

A défaut de nos braves troupes, cette terreur eût été très utile dans les terres chaudes, qui, livrées à elles-mêmes et ne redoutant guère une répression immédiate, commençaient à remuer. Pendant qu’autour de Vera-Cruz les diverses bandes des Prieto et des Diaz continuaient avec plus d’audace leurs actes de brigandage, l’ancien président de l’état libre et souverain de Campêche, au moment où nous avions fait capituler la ville, Pablo Garcia, agitait sourdement le Yucatan. Il est vrai que c’était l’empereur Maximilien qui, par un acte de clémence un peu prématuré, l’y avait laissé rentrer, ainsi que quelques-uns de ses amis, gens très intelligens et très dangereux. Au premier jour, ces conspirateurs émérites pouvaient, avant qu’elle sût d’où cela lui vînt, saisir, amarrer et bâillonner la très petite garnison de Campêche. Mérida, la principale ville du Yucatan et, naturellement par suite, l’ennemie de Campêche, était mécontente ou plutôt pleine de mécontens dont l’espèce toute particulière révèle une plaie inhérente au Mexique et que nous appellerons, si cela se peut dire, le colonélat. C’étaient tous ces colonels remerciés qui émargeaient autrefois au budget et ne pardonnaient pas qu’on les eût mis de côté. La mesure prise à leur égard dans la réorganisation trop hâtive et trop peu étudiée de l’armée mexicaine avait peut-être été trop radicale. Il eût fallu les licencier par degrés, car continuer à les payer eût été acheter la paix, tandis qu’en les congédiant, comme on l’avait fait, sans être prêts à les châtier s’ils bougeaient, on avait risqué d’avoir la guerre, c’est-à-dire un nouveau soulèvement du Yucatan. Carmen et la lagune de Terminos ne demeuraient tranquilles que grâce à la continuelle présence d’un de nos bâtimens, et le Tabasco, continuant à prospérer comme état souverain, ramassait, dans son hostilité contre nous, les droits de douane qui étaient énormes, et faisait aux commerçans des emprunts forcés. Les chefs de cet état se préparaient ainsi à nous résister et, en tout cas, à ne point s’en aller les mains vides. La résistance du Tabasco pouvait être d’autant plus vive que nous avions permis au colonel Arevalo, l’ancien et redouté proconsul de la province, de se mettre dans nos rangs et que la crainte de son retour au pouvoir écartait de nous toute la partie modérée du pays, qui se fût, autrement, déclarée en notre faveur.

Le temps d’arrêt dans l’expédition d’Oajaca compromettait donc la situation générale et ajournait surtout l’attaque combinée à laquelle la marine devait prendre part contre le Tabasco. Ce retard pesait au commandant de la division, que les soins et l’activité d’une opération de guerre eussent distrait de certains soucis