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habilement groupés. Cette rente l’inclinait fort vers la fidélité à l’empire ; mais avec la grande expérience que son âge lui avait acquise des roueries d’un fonctionnaire mexicain, il avait la facile théorie de conduite ordinaire à ses pareils et qu’avaient engendrée de temps immémorial les discordes intestines de son pays. Il était fort pour commander et ramasser de l’argent pendant la paix, et dès qu’il s’agirait de se battre, pour arguer de son peu de moyens de résistance et se sauver avec la caisse.

On comprend que les villes si lestement sauvées sont d’autant plus difficiles à garder. On jour plus tard, ou s’il eût fait du vent du nord, le canot ne fût point arrivé à temps ou n’eût pu franchir la barre, et Tuspan était momentanément perdu, comme il avait été déjà momentanément conquis. On y envoya la Pique, canonnière qui pouvait pénétrer dans la rivière et qui dut y séjourner, sauf à surveiller avec le plus grand soin la hauteur de l’eau sur la barre afin de se retirer à temps. Il ne fallait pas, en effet, que l’accident de la Lance, obligée de se brûler en 1863 dans la rivière de Tampico, se renouvelât. Les instructions que reçut la Pique étaient énergiques et sommaires. Si le capitaine le jugeait nécessaire au salut de la ville, il ne devait pas hésiter à s’assurer de Llorente, le préfet politique, et de son fils le colonel, et à les mettre hors d’état de nuire. Il fallait donner du cœur à tous ces gens de Tuspan et les pousser à une expédition qui dégageât la barre de Cazones et les menât jusqu’à Papantla, faire en un mot succéder l’initiative et l’esprit d’entreprise à l’hésitation et à l’apathie. C’était plus facile à projeter qu’à faire ; mais ces instructions, en trahissant une certaine irritation vis-à-vis de dangers qui eussent été puérils s’ils n’eussent eu contre nous leur force d’inertie et qu’on ne conjurait un moment que pour les voir aussitôt revenir, sentaient le voisinage à Tampico de l’expéditif colonel du Pin.

Des préoccupations plus graves que cette échauffourée de Tuspan eussent, dès ce moment-là, tenu la marine en éveil, si le commandant de la division se fût laissé gagner par elles. L’avis parvint, en effet, de différens côtés, d’armement de corsaires américains pour le compte de Juarez et munis par lui de lettres de marque. Il s’armait, disait-on, à New-Orléans et à Key-West quatre corsaires destinés à courir sus à nos navires de commerce et surtout à nos paquebots. Tout d’abord, le gouvernement français ne s’en émut pas outre mesure. La guerre entre le Sud et le Nord n’était pas terminée, et il lui paraissait difficile d’admettre que les États-Unis tolérassent de pareils faits, si contraires aux devoirs des neutres et aux bonnes relations qui existaient entre les deux pays. Il ajoutait que, par suite de l’établissement de l’empire mexicain, le