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si c’en est le temps, un mercredi des Cendres ? Ailleurs, voici l’argument dont il se servira pour stimuler les fidèles à l’aumône[1] : « C’est une vérité confirmée par l’expérience de tous les siècles : on voit tous les jours prospérer les familles charitables ; une providence attentive préside à leurs affaires ; et où les autres se ruinent, elles s’enrichissent. » A cet argument il s’avise d’en ajouter un autre plus curieux : c’est que, quand on fait des donations à l’église, l’église, qui a de l’ordre, en conserve les actes, de sorte que dans les polyptyques ou cartulaires, et autres pièces comptables, les familles sont assurées d’y retrouver les preuves de l’antiquité de leur noblesse et les titres de leur généalogie. Je cite le passage : « Car je vous prie, mes frères, qui a conservé à la postérité la descendance de tant de noms illustres que nous respectons aujourd’hui, si ce n’est les libéralités que leurs ancêtres firent autrefois à nos églises ? C’est dans les actes de ces pieuses donations, dont nos temples ont été dépositaires, et que la reconnaissance seule de l’église, et non la vanité des fondateurs, a conservés qu’on va chercher tous les jours les plus anciens monumens et les plus assurés de leur antiquité. »

Sont-ce là des traits qui lui échappent ? Ils lui échapperaient au moins bien souvent. Il est en effet bien peu de sermons où l’on ne rencontre quelques traits de ce genre. S’il parle d’un sujet que traitaient souvent les prédicateurs du XVIIe siècle, à savoir la restitution des biens malhonnêtement acquis : « Vous craignez ainsi, dira-t-il, d’informer le public de vos injustices secrètes, mais au contraire… bien loin que les démarches de votre repentir missent votre réputation en danger, il ne vous reste plus que cette voie pour recouvrer celle que vous avez perdue[2]. » Bossuet parlait un autre langage : « Entendrai-je encore ces lâches paroles ? Ah ! si je quitte ce métier infâme, ces affaires dangereuses dont vous me parlez, je n’aurai plus de quoi vivre. Écoutez Tertullien qui, vous répond : « Eh ! quoi donc, mon ami, est-il nécessaire que tu vives[3] ? » Dans un autre sermon, reprenant contre les libertins le célèbre et dangereux argument de Pascal : « Que risque l’impie en croyant ? » De rencontrer peut-être une éternité de bonheur, répondait Pascal, et d’être après cela, fidèle, honnête, humble, reconnaissant, bienfaisant, sincère, ami véritable. Toutes vertus, comme vous voyez, dont nous paierions l’observance, presque toujours, du sacrifice ou de nos intérêts ou de nos plaisirs. Mais, en plus, ajoute Massillon : « de modérer des passions qui auraient fait le malheur de toute votre

  1. Sur l’aumône.
  2. Sur les dispositions pour se consacrer à Dieu.
  3. Sur nos dispositions à l’égard des nécessités de la vie.