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vont faire un troisième. Trois développemens, mis bout à bout, feront une division du discours ; nous aurons donc une division sur les souvenirs du passé, une division sur les accablemens du présent, une division sur les terreurs de l’avenir. Il ne nous reste plus pour avoir un point de sermon, qu’a mettre en avant de ces trois divisions une phrase qui les pose, une autre phrase à la fin qui les résume, et le premier point achevé, rien de plus simple : on passe au second. Pour l’art délicat et difficile des transitions, je ne connais guère d’écrivain qui s’en soucie moins que Massillon. C’est qu’en effet, à ce degré de division, les idées, réduites à leur extrême simplicité, n’ont presque plus de points par où elles se touchent.

Et cependant, chose bizarre, ce n’est pas Massillon, c’est Bourdaloue qui passe, entre nos grands sermonnaires, pour avoir divisé, subdivisé, resubdivisé la matière de la prédication jusqu’à la réduire en poussière. Mais, sans renvoyer le lecteur à aucun des sermons de Bourdaloue, parce que l’on pourrait le renvoyer à tous les sermons de ce grand homme à peu près indifféremment, je me contenterai d’un seul mot. Il y a cette différence que les plans de Bourdaloue sont antérieurs à ses divisions ; il ne divise le sujet que pour le mettre à la portée de son auditoire ; la division n’est pour lui qu’une méthode d’exposition. Massillon au rebours. La division est pour lui, je ne dirai pas une méthode, mais la méthode unique d’invention ; s’il divise le sujet, c’est proprement pour le découvrir, il n’en voit que successivement les ressources, et ses plans ne dépendent que de ses divisions. Aussi ses plans, souvent ingénieux, sont-ils toujours en surface et jamais en profondeur. Aussi, dans un seul discours, épuise-t-il d’un coup tout ce qu’il peut tirer d’un texte. Aussi n’est-il pas capable de reprendre deux fois un même thème et de se renouveler, comme Bourdaloue, forme et fond, en se répétant. Il n’est abondant que de moyens de rhétorique, et de mots. Mais les mots, on a vu l’usage qu’il en faisait, et les moyens de rhétorique, il faut bien déclarer qu’il a su s’en servir comme personne. Et ainsi, dans un genre où d’ailleurs il.ne serait pas à souhaiter qu’il eût trop de rivaux, on peut dire qu’il est véritablement sans rival.

Maintenant, quel usage a-t-il fait de ces ressources !? Dans ces cadres tracés comme on vient de le voir, qu’a-t-il mis ? La réponse tient en deux mots : peu de doctrine et beaucoup de morale.


II. — DE LA MORALE DE MASSILLON.

C’est encore ici ce que le XVIIIe siècle a particulièrement goûté dans Massillon.